I. De la plus belle qu'on puisse voir, à mon avis, pour laquelle nuit et jour je veille, pensif et soucieux, je veux m'éloigner, si mon cœur veut me suivre ; mais avec cette convention, que jamais je ne reparaîtrai devant elle, car longuement elle a entretenu mes désirs par ses beaux semblants, mais elle me répond si durement que jamais elle n'a voulu souffrir mes prières et supplications.
II. Jamais mes yeux ne se rencontreront avec les siens, à moins qu'elle ne m'ordonne par son plaisir de venir à elle, car plus je la vois, plus elle me tue de désir, et plus je l'aime, plus j'accrois mon dommage. Si je ne la vois point, je languis et me consume, et comme rien autre chose au monde ne saurait me plaire, peu s'en faut que je ne renonce à voir et à entendre (à vivre).
III. Ah ! belle dame, beau corps gracieux, aux aimables façons et au plaisant accueil, c'est à peine si je sais, à votre sujet, choisir mon avantage : dois je vous voir ou non, retourner à vous ou m'en aller ? Tout mon sens, tout mon savoir ne suffisent pas à répondre. Je suis entré si profondément dans votre amour que je ne sais par où j'en pourrais sortir.
IV. Pourtant, dame, si j'apercevais en vous volonté ou désir de daigner me savoir gré de mon amour, c'est un mal dont je ne voudrais pas guérir. Mais puisqu'il ne vous plaît pas ainsi, je vous recommande au Dieu véritable (je vous dis adieu) : je m'arrache de vous, et non de bon gré, car rien, sauf vous, ne peut me rendre heureux : voyez si je puis me séparer de vous avec joie !
V. Puisque vous savez que je vous aime sans perfidie, que je vous suis plus fidèle que je ne saurais le dire, et qu'il me faut vivre ou mourir avec vous, que Merci vous fasse consentir, ô dame ! à ceci du moins, que vous réconfortiez mon cœur qui défaille et me fuit et se fond, car je ne sais où je devrais chercher secours si vous me manquez.
VI. Sire Bernard, rien au monde ne peut nous séparer ; mais je crains que la belle qui me torture et me détruit me sépare de vous par la mort.