I. — Puisque j'ai plus grande douleur qu'aucun autre malheureux, je renoncerai à la joie et aux chansons. Ami Badoc, beau et aimable compagnon, à cause de votre mort j'abandonnerai joie et plaisir et gaîté et chant; et si je dois parler de vous autrement qu'en pleurant, il me semble que tout le monde doive me le reprocher.
II. — Ah! doux compagnon, comme votre vigueur nous quitte prématurément! Je reste ici triste et affligé et me trouve seul au milieu d'autres compagnons. Saurais-je donc avoir du plaisir sans vous? Assurément non, par le Christ; tout au contraire, je vous affirme sans leurre que, si je savais par où les morts s'en vont, je quitterais les vivants pour vous voir.
III. — Vous me disiez autrefois, Badoc, quand vous étiez en vie, que celui de nous deux qui mounait le premier parlerait à l'autre. Je vous l'aurais certainement tenue, cette promesse. Comment la mort ou autre chose a-t-elle pu vous retenir de me parler quand je vous ai vu en rêve? Moi, je vous eusse parlé! Oh, je viens de faire grande faute: ami, je sais bien que vous n'en avez pas le pouvoir.
IV. — Franc chevalier, bon et renommé, [selon les circonstances] sage et fou, humble et orgueilleux, avare et généreux, sachant augmenter son avoir et sachant le dépenser (car jamais homme n'eut moins de biens, eu égard au mérite), fleur de courtoisie, à mon avis, riche de qualités, car jamais nul n'en eut autant; il y aura difficilement désormais homme de votre valeur.
V. — Beau Seigneur Dieu, Roi glorieux et miséricordieux, par Ta nature clément et pitoyable, Roi de grâce, au jour dur et terrible [du jugement dernier] laisse-nous nous revoir au paradis: saint Pierre et saint Jean agiront mal s'ils ne le mettent pas là où sont les anges, car jamais ils ne tinrent en leur puissance homme plus courtois.