(Millot, Histoire litt. des troub., III, p. 129 ss, traduit la pièce intégralement, à l'exception des tornades):
I. — Puisque celle que je chante est belle, et beaux son nom, sa terre et ses châteaux, et belles aussi ses paroles, ses actions et ses manières, je veux que mes couplets commencent tous par le mot »beau». Et je vous le dis bien: si le prix de ma chanson était comparable à celui de la dame pour qui elle est faite, elle surpasserait toutes celles qui existent, tout comme Elle vaut plus que toutes les autres dames au monde.
II. — Tout bellement elle me ferait mourir de désir, celle dont je suis l'homme-lige sans réserve. Et pourtant elle pourrait me faire riche d'un seul fil de son gant ou d'un seul des poils qui tombent de son manteau. Par les seuls présents imaginaires et les promesses fallacieuses elle me comblerait pour toujours, si elle le voulait. Mais point ne lui en chaut, car, plus elle me tourmente, plus je l'aime d'un cœur fidèle et pressant.
III. — Ah, belle Dame au gentil corps bien fait, vers qui je tends tout mon cœur, si je venais à vous, les mains jointes et à genoux, vous demander votre anneau, ah! quelle preuve de générosité et de pitié si lui procurant une heureuse joie vous ranimiez ce malheureux qui demeure ignorant du bonheur. Car sans vous il n'y a pas de félicité qui jamais le réjouisse.
IV. — Belle Dame, du moment que ma cour ne va vers aucune autre, je n'ai ni à me défendre ni à me justifier, car il n'y a aucune dame, ni en réalité ni en apparence, qui comparée à vous ait pour moi la moindre valeur. Or, vous n'êtes pas à moi et je n'en voudrais autre, mais mourrai sans goûter de joie, car de vous je me juge privé. En amour suis entré un peu trop profond: pour en sortir n'y trouve ni gué ni pont.
V. — Un bel espoir me réconforte: en peu de temps, le noble Amour aide celui qui lui est fidèle et implore sa grâce, pourvu qu'amant constant ne devienne inconstant. Que celui qui a en lui (Amour) placé son fidèle cœur ne désespère point, même si le bonheur tarde à venir, car une dame noble répond à tout quand il se doit, prenant garde à qui elle s'adresse, à ses propres paroles et à l'endroit.
VI. — Tout lieu où Elle se trouve m'est lieu beau et resplendissant: bois, prés, vergers, roselières m'y plaisent et m'enchantent chaque jour de l'année, comme une rose nouvellement épanouie. Il n'est au monde vilain si malappris qui, d'un mot échangé avec elle, ne devienne courtois et ne sache parler de tout avec assurance, encouragé par ses paroles, alors qu'il fuit les autres.
VII. — Ami Bertrand, telle est la dame que désire mon cœur: elle chante et rit pendant que je me consume de langueur.
VIII. — Bertrand, il nous faudrait aller voir la fille du bon comte Raymond, laquelle rend plus beau le monde entier.