I. J'ai bien éprouvé tous les maux de l'amour, mais ses bienfaits, je ne les connus même pas un seul jour, et si ce n'était que j'ai en ce moment bonne espérance, je croirais vraiment qu'ils n'existent pas (ces bienfaits), et j'aurais de bonnes raisons pour me désespérer, tant j'ai aimé sans être aimé. Mais si le bien d'amour est aussi doux et agréable que le mal est affligeant et cuisant, je veux plutôt mourir que de ne pas continuer à l'attendre.
II. Je crois que la mort me vaudrait mieux qu'une vie entière passée ici-bas sans mon Plaisir : pourtant, il est mieux pour moi de mourir en bonne espérance que de mener une vie qui ne m'apporterait aucun profit. Car tout homme qui vit dans la douleur, quoique vivant, est mort, si on ne lui donne ni joie ni plaisir. En effet, je suis un homme à qui aucune jouissance ne procure une joie capable de le réjouir [et il en sera ainsi] jusqu'à ce qu'il plaise à ma dame d'avoir merci de moi.
III. Et si je suis coupable et en erreur pour la seule raison que je vous désire et veux, malgré cela, je n'abandonne pas mon espérance, car Merci pardonne bien un plus grand tort. Toutefois, si on jugeait de mes torts avec raison, je ne crois pas que ma faute serait si grave ; mais ce que vainc la force est bien vaincu, et alors aucun droit ne peut plus vous protéger : et c'est pourquoi j'ai besoin que Merci me défende.
IV. La grande beauté et la valeur qu'elle possède, ainsi que toutes les bonnes qualités qu'une dame peut avoir, me font rester toujours en bonne espérance : car je ne crois pas qu'il puisse se faire que là où se trouvent toutes les autres vertus, Humilité n'ait pas aussi sa place. Cette pensée me fait supporter ma douleur avec patience, parce qu'Humilité, Merci et Indulgence peuvent m'aider, pourvu qu'elles naissent dans le cœur de ma dame.
V. Moi et Amour, nous sommes unis de telle manière qu'à aucune heure du jour, de la nuit, du matin ou du soir, il ne se sépare de moi, ni moi de bonne Espérance : la douleur m'aurait tué, tant elle est grande, si je ne m'étais pas affermi en bonne Espérance. Mon mal, pourtant, n'est en rien diminué, car bonne Espérance m'aura fait être longtemps triste et anxieux, et je crains toujours qu'il ne me reste plus encore à payer.
VI. Mais si je devais un jour être appelé « ami » d'aussi bon cœur que je me suis dévoué à la belle dame dont mon désir ne se sépare jamais, Amour ne m'a jamais tellement maltraité qu'en ce seul jour il ne me récompensât de toutes mes souffrances.
VII. Chanson, je veux que vous alliez vers Aziman et vers Toustemps, car vous leur serez agréable. Mais n'allez pas parmi les mauvaises gens, car je crois que celui-là vous entendra le mieux qui a le plus de valeur.