I. — L'autre jour, je rencontrai la bergère d'antan ; je la saluai et la belle répondit à mon salut : puis elle [me] dit : « Seigneur, comment êtes vous resté si longtemps sans que je vous voie? Mon amour ne vous tente point ?... » — « Si, jeune fille, plus que je ne le montre » — « Seigneur, comment pouvez-vous supporter le chagrin [d'une séparation] ? » — « Jeune fille, il est tel qu'il m'a fait venir ici » — « Et moi, Seigneur je vous cherchais » — « Jeune fille, vous voici gardant vos agneaux ! » — « Et vous, vous [êtes ici en] passant, Seigneur, il me semble. »
II. — « Jeune fille, dès le premier jour je fus à vous, je vous l'affirme. Puis des tracas m'ont privé de l'occasion de vous voir. » — « Seigneur je peux vous en dire autant de moi, car je vous suis aussi fidèle que vous l'êtes envers moi. » — « Jeunefille, je suis heureux que vous sachiez m'en récompenser. » — « Seigneur, je fais ce qu'il sied [de faire]. » — « Jeune fille, veuillez donc tout ce que je voudrai. » — « Seigneur, je veux bien écouter votre désir. » — « C'est, jeune fille, que je veux jouir de votre amour. » — « Mais oui, Seigneur, quand je n'y serai pas. »
III. — « Jeune fille, aucune joie me venant d'une autre femme ne me plaît, si je n'en obtiens pas de vous, et nulle au monde ne pourrait me la donner. » — « C'est bien ainsi que je le pense, Seigneur ; mais chevauchez donc, et suivez votre route ! » — « Jouvencelle, je ne veux pas m'en aller ; au contraire, je mettrai pied à terre : » — « Seigneur, à quoi vous sert-il maintenant d'être descendu ? » — « Jeune fille, sachez que je serai votre amant ! » — « Seigneur, s'il vous plaît, écoutez ce que je vais vous dire » — « Dites vites, jeune fille ; je vous écouterai bien. » — « Seigneur, asseyons-nous : vous êtes le bienvenu. »
IV. — « Jeune fille, le désir que j'ai de vous posséder est devenu si grand, qu'il faut sur le champ le satisfaire. » — « Seigneur, comment avez-vous si tôt oublié votre Belh Deport? Vous ne l'aimez guère ! » — « Si bien, jeune fille, tellement que je me déclare vaincu. » — « Seigneur, si elle apprend cela, elle devra vous en savoir gré. » — « Jeuue fille, elle me fait abstenir de bien des vilaines actions ! » — « Seigneur, c'est pour cela qu'on vous nomme avec éloges! » — « Jeune fille, c'est la seule joie que m'apporte son amour » — « Seigneur, vous n'avez point l'air de vivre sans plaisir! »
V. — « Jeune fille, mon Belh Deport ne veut pas me secourir, et je ne vois rien au monde qui me plaise autant [qu'elle]. » — « Seigneur, je crois bien qu'en cela elle sait faire tout son devoir, si elle a autant de vrai mérite que vous le prétendez. » — « Jeune fille, elle a tant de valeur, que j'en désespère absolument » — « Seigneur, n'obtenez-vous par elle aucun avantage ? » — « Si, jeune fille, celui de mourir de désir. » — « Mais aussi, Seigneur, on loue votre savoir. » — « A quoi cela me sert-il, jouvencelle, puisque je ne peux obtenir d'elle aucune joie ? » — « Seigneur, cette joie, votre cœur léger vous la fait perdre ! »
VI. — « Jeune fille, mon cœur est envers elle loyal et sincère ; et la mort s'attaque à moi qui brûle de désir (c. a. d. je meurs de désir) » — « Seigneur, j'entends tellement parler de Guiraut Riquier, que, si elle (votre Dame) ne vous secourt pas, elle ne fait rien qu'elle ne doive. » — « Jeune fille, les médisants ne méritent pas qu'on les croie !» — « Seigneur, je sais bien ce que vous voulez de moi. » — « Jeune fille, je vous aime bien, mais, vous m'avez berné. » — «Seigneur, hier vous en aimâtes une autre tout autant. » — « Jeune fille, je m'en vais, car vous ne m'êtes pas serviable. » — « Parlez, Seigneur, et laissez-moi vous revoir l'an prochain! »