I. Je venais l'autre jour d'Astarac vers l'Isle [-en-Jourdain], par le chemin des pèlerins, et près du chemin sous une treille — et je n'en fus pas fâché — ma bergère, qui était assise avec sa fille. Elle me reconnut aussitôt, elle rit, bien qu'elle se lamentât, s'étonna et se recommanda à Dieu. Puis je mis pied à terre ; elle s'était levée, et revint à sa place quand je l'eus saluée.
II. Je la vis fort changée, en comparaison de sa beauté d'autrefois. Je lui dis : « D'où venez-vous? » — « Seigneur, je suis tellement " signée " que, vous le voyez bien, je viens de Compostelle ». — « Puisque je vous ai trouvée, contez-moi des nouvelles de là-bas, si vous [en] savez ». — « Seigneur, le roi de Castille marche vers Grenade ; dépêchez-vous de le rejoindre! » — « Dame, que dites-vous? Je ne crois pas qu'il fasse cela ». — « Seigneur, vous commettez une grande faute en ne suivant pas sa trace ».
III. « Vous n'avez pas encore perdu, dis-je, la manie de me railler? » — « Hélas, Seigneur Guiraut Riquier, je ne suis pas bergère à chanter de cet air là (?) » — « Qu'il vous plaise d'accepter ce soir l'hospitalité complète, chez moi, et l'amusement ». — « Seigneur, vous me croyez bien légère : il est inutile de m'inviter ! » — « Dame, il ne me semble point que vous ayez souci de moi ». — « Ni d'aimer, Seigneur, et je m'en passe bien! »
IV. « Puisque vous êtes si dure à mon égard, désormais, dans mes chants, je me plaindrai de vous ». — « Seigneur, il serait juste, si vous aviez quelque mémoire, que vos chants fussent [à la gloire] de Dieu ». — « Dame, je n'ai commis aucune bassesse, à bien me juger, qui m'inspire de la honte ». — « Seigneur, le bon sens no vous impose pas l'entrave de la modération, pas plus que ne le font les cheveux blancs et les années ». — « Dame, il semble que vous ayez l'idée de me dire des méchancetés ». — « Cela ne vous fait pas de mal : vous savez si bien endurer! »
V. « Femme accomplie, je ne vous ai encore rien dit qui puisse vous chagriner ; pourquoi me dites-vous des méchancetés? » — « Seigneur, je veux que vous teniez pour amère la voie temporelle! »— « Je ne pense pas du tout qu'avec un tel sermon on la voie sous des couleurs riantes ». — « Seigneur, vous doublez mon martyre par vos paroles, maintenant, et cela ne vous sert de rien » — Que Dieu vous sauve toujours! Je ne saurais vous dire rien de plus! » — « Peu m'importe, Seigneur ; au nom de Dieu, allez! ».