I. — A Saint-Pons de Tomières je vins, tout trempé de pluie, chez des hôtelières que je ne connaissais pas ; et je fus même étonné, car la [plus] vieille riait en contant à la jeune quelque agréable histoire ; et chacune se montrait à mon égard aussi charmante que possible, jusqu'au moment où je fus bien hébergé ; alors, il me souvint du temps passé, et je reconnus la vieille, à ma grande joie.
II. Je lui dis : « Vous êtes celle qui était bergère jadis et qui m'a tant berné? » Elle me dit sans humeur : « Seigneur, je ne vous ferai plus la guerre pour mon plaisir ». — « Femme accomplie, je vous trouve toujours une attitude telle que cela doit [vous] être reproché ». — « Seigneur, si j'eusse été légère, il n'y a pas longtemps que je fus en passe de trouver acquéreur ». — « Femme accomplie, ce sont là des paroles que la nécessité fait dire à un homme qui cherche un gîte ». — « Mais non, Seigneur, je suis la voisine de cet ami non aimé ».
III. — « Femme accomplie, un amant doit fort désirer une jouvencelle comme vous ». — « Seigneur Dieu! C'est comme épouse qu'il me veut ; mais je ne suis pas décidée ». — « Femme accomplie, voilà bien le moment de vous tirer de la misère, si c'est un homme à l'aise ». — « Nous pourrions vivre assez à l’aise : mais je le sais père de sept enfants ». — « Femme accomplie, ses grands fils vous serviront ». — « Seigneur, j'en suis marrie, il n'en a pas un [qui soit âgé] de dix ans ».
IV. — « Femme insensée, vous vous êtes tirée du mal, et vous en cherchez un pire ». — « Au contraire, Seigneur, je suis sensée, car mon cœur ne me porte pas à chercher mon dommage ». — « Femme accomplie, vous cherchez une voie tortueuse, et vous en mourrez, à mon avis, avant un au ». — « Seigneur, voici, ce qui me réconforte, ce qui est la source de ma joie : celle qui est devant nous ». — « Femme accomplie, c'est votre fille, il me semble ». — « Seigneur, vous nous avez rencontrées antan toutes deux, près de l'Isle [-en-Jourdain] ».
V. — « Femme accomplie, il conviendra qu'elle m'indemnise des nombreux chagrins que vous m'avez causés ». — « Seigneur, qu'elle attende que cela plaise à son mari ; puis vous réglerez votre affaire ». — « Femme accomplie, votre [manie de] railler ne vous passe pas encore ; elle vous dure toujours bien fort! » — « Seigneur Guiraut Riquier, je suis ennuyée de vous voir tellement attaché à la poursuite de ces chansons légères ». — « Femme accomplie, la vieillesse vous rend ces chants amers! » — « Seigneur, [la vieillesse] se tient si loin de vous que vous n'êtes point semblable aux [autres] vieillards! »
VI. — « Femme accomplie, rien ne m'aurait fait craindre, de votre part, des méchancetés, mais cela m'a l'air d'une moquerie». — «Seigneur, je pense que vous ne me prêtez à votre endroit aucune intention désagréable ». — « Puisque je suis dans votre demeure, vous devez être tout à fait tolérante à mon endroit ». — « Seigneur, je ne suis point tentée de vous dire quoi que ce soit en manière de reproche, ni de vous causer quelque ennui ». — « Dame, cela vous serait impossible [de me causer de l'ennui] car je ne peux point ne plus vous aimer ». — « Seigneur, le feriez vous même, je veux toujours vous honorer ».
V. — « Au valeureux Comte d'Astarac qu'on doit louer, Dame, plaît notre discussion ». — « Seigneur, sa grande valeur le fait nommer avec amour par toutes gens ». — « Dame, si vous le voyiez ici, sauriez-vous l’accueillir? » — « Seigneur, vous entendriez ce que j’ai l'intention de faire ».