J'emprunte presque mot pour mot à l'édition de M. Jeanroy la traduction de cette pièce.
I. L'autre jour, au matin, je passais sur la cime [d'un coteau], je vis, au pied d'une aubépine, aux premiers rayons du soleil, une jeune fille qui me parut ressembler à celle que j'avais coutume de voir. Je me détournai de mon chemin [pour aller] vers elle, et elle, en souriant, me salua.
II. Tout joyeux, je descendis de mon cheval sur le gravier ; elle me prit par la main et me fit asseoir près d’elle, à l'ombre d'un tilleul, et ne me fit aucune question. Je ne sais si elle me connaissait... Elle ? Certes oui, car — pourquoi vous mentirais-je ? — elle me baisa les yeux et le visage.
III. Peu s'en fallut que de plaisir je ne défaillisse, quand ses cheveux me touchèrent : « Belle, fis-je, comment êtes vous ic i? Je crois que c'est Dieu même qui m’a préparé cette rencontre » — « Messire, oui, c'est lui, qui nous a réunis ; je ne veux et ne désirais rien si cela vous plaît, elle me plairait, à moi, la chose au sujet de laquelle on m'a le plus réprimandée ».
IV. — « Amie, si je devine juste, j'aurais tort de me plaindre. Puisque vous êtes si familière avec moi, je vous révèlerai un secret : Amour m'a enlevé ce qu'il m'avait donné, celle qui me plaisait tant ; je ne sais maintenant où elle est allée, et depuis [que je l'ai perdue], rien n'a pu me réconforter ».
V. — « Messire, j'entends bien ce langage (je n'ignore pas ces sortes de choses), et c'est pourquoi je passe les nuits dans le chagrin et dans les veilles ; jamais, depuis que je me séparai de vous, mes yeux n'ont goûté le sommeil. Mal fit celui qui vous a tant éloigné ! mais ses précautions auront été inutiles, car notre amitié sera en meilleur point qu'elle ne fut jamais ».
VI. « Amie, je crois que, par un heureux destin, Dieu m’a procuré votre compagnie et joie de chambre en plein pâturage : elle m'est douce, ce dont je m'émerveille. Jamais les choses n'allèrent si bien pour nous ; grâce à vous et à moi, nous sommes libres de tout autre servage : Amour, en ce qui me concerne, n'a pas fait erreur. »
VII. — « Messire, Dame Eve transgressa les comman dements qu’on lui avait imposés ; et quiconque voudrait me réprimander à votre sujet perdrait sa peine et ses discours. »