[LES PLAINTES DU TROUBADOUR MOURANT S’ACHÈVENT SUR UNE NOTE D’ESPOIR]
I. Quelle que soit la valeur de mon chant, ou qui que ce soit qui le chante ou l’apprenne à celle sur qui je fais mes chansons, elle ne fait pas mine de vouloir m’agréer ; car s’il lui plaisait et lui était agréable, elle ne me ferait jamais ainsi mourir de désir amoureux ; car Amour me tue de l’envie que j’ai d’elle, et ce sera sa faute si je meurs et si mon chant s’arrête.
II. Car si je vivais mille ans rien que pour la servir loyalement, cela ne me ferait nulle peine, et c’est pourquoi si elle m’occit elle est sa propre ennemie, car je suis fait pour exécuter ses ordres et pour la servir, et je ne veux jamais m’abstenir d’aimer, quelque dommage m’en vienne ; au contraire je sais qu’il ne viendra aucun profit de faire deux maux d’un seul.
III Que ses beaux yeux amoureux, en sa personne qui ne daigne pas m’aimer et ses avenantes manières, maintiennent la joie parfaite qui vient d’elle ! Et pourtant envers moi elle est trompeuse et m’emplit de soucis, mais le n’ai pas osé le lui dire, là-bas : plus je la contemple, ainsi notre amour m’assaille — et la joie et le désir extrêmes font redoubler mes chants (1).
IV. Ainsi suis-je envers elle, sans nulle fausseté — et je n’ai par le cœur de la quitter ou de changer, tellement je l’aime, et mon cœur reste à elle en appréciant toujours son grand mérite ; et puisque je ne puis m’éloigner d’elle, ni cesser de l’aimer et de chanter ses louanges, je la supplie de penser, par miséricorde, à ne pas me faire subir pour elle l’attente des Bretons ! (2)
1
) L’ordre et l’enchaînement des idées est ici assez embarrassé ; e lai v. 27, lire alai ?
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2
) Les Bretons espèrent et attendent toujours le retour du roi Arthur, dont la mort, incertaine, est placée par Bernard Itier en l’an 607 (Duplès-Agier,
Chron. St-Martial, p. 36).
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