[LE TROUBADOUR HEUREUX SE VANTE DE SA MESURE ET DE SA RÉSERVE]
I. Rien de mes chants je n’attends ni n’espère, ni temps ni saison, ni chant d’oiseaux, fleur ni feuille, mais bien seulement vous, dame, telle que je vous veux, et même bien mieux que je ne sais désirer — car vous êtes pour moi avantage, espoir et salut, joie et délices, source et commencement ; et pour cela en vous mon chant prend naissance et essor, vous en qui joies et mérites naissent et croissent en beauté.
II. C’est pourquoi j’ai dans la joie mon séjour et mon loisir, car votre amour ainsi m’accepte et m’accueille, pressé par Amour chaque jour plus que jamais — Par l’amour accompli je m’améliore à l’extrème, mais je n’ose pas exprimer, comme mon cœur le dicte, que vous pouvez être, o dame, mon salut, car jamais désir ni volonté ne m’ont pu contraindre à vouloir que par moi vous soyez entraînée à faillir.
III. Car autant que le monde puisse contenir, et que la mer, le ciel et la terre puissent enclore et enfermer, nulle part des yeux ne peuvent voir, un cœur ne peut concevoir, croire ni savoir qu’en une seule personne existe une manière d’être si gracieuse, un être si plein de belles qualités, dont pas une ne manque, et que la beauté, ainsi qu’à ses mines gracieuses, donne forme à tout son esprit et à son intelligence.
IV. Celui qui par surabondance de bien être, de plaisir et de haute jouissance doit pouvoir ressentir de l’orgueil [peut bien se vanter d’être débarrassé du souci] mais moi le dirai ce qui m’en fait abstenir : la sagesse poussée à l’extrême, la mesure et le jugement — car je sais bien, noble dame valeureuse, que ce ne sont pas mes mérites, mais la miséricorde et l’indulgence, qui m’ont donne à vous, et m’ont fait acquérir un cœur accompli.
