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Français
Jean Mouzat

[COMPLAINTE DU PRISONNIER DÉSIREUX DE PASSER EN JUGEMENT]

I. Jamais je n’aurais cru que dans sa prison Amour me fît encore entrer, mais il me fait maintenant veiller la nuit, et le jour il me donne abondance de soupirs et de soucis, à cause d’une personne en qui se trouvent beauté et jeunesse, mérite et valeur accomplis, ainsi qu’honneur et courtoisie, et c’est pourquoi je lui crie humblement merci pour qu’il me prenne en pitié.

II. Pourtant je sais bien qu’il veut me juger en matière d’amour accompli, et près de lui je dois trouver clémence, car il n’y a rien qui lui plaise qui ne me soit agréable et doux ; et si l’on en faisait jugement dans une cour d’amants loyaux, celui qu’Amour fait tant souffrir et qui aime fidèlement et de tout cœur recevrait joie et bienfaits d’amour.

III. Donc, j’aurais bonne récompense de celle que je puis aimer si bien, si elle veut prendre en considération le droit d’amour ; car je ne pense à nulle autre qu’elle, et envers elle mon sentiment est pareil à celui de l’homme riche à qui ses propres richesses plaisent tellement que, pût-il en avoir ailleurs mille fois plus, il lui semblerait que rien ne vaut ce qu’il possède.

IV. Sans elle, rien ne peut me servir ni m’aider contre le mal que j’ai : et donc puisque nulle autre ne peut me donner ni joie ni santé ni guérison de mes maux et de mes tourments, il convient vraiment que je sois son obéissant serviteur, — comme celui que tourmente une grande douleur et sait qu’il ne peut avoir de secours, sauf d’un seul médecin en qui il a confiance — car ainsi elle doit me tenir auprès d’elle et m’estimer.

V. Je suis si ravi quand le l’admire, qu’il me paraît qu’elle ne pourrait rien faire qui m’afflige, tellement je suis allègre et gai au fond du cœur, et si heureux ; ainsi suis-je subjugué, et vaincu de parfaite joie, quand je regarde ses fraîches couleurs ; et donc il me paraît que ce me sera grande douceur si d’elle me vient la joie que tant je désire, quand son image ainsi revient à mon souvenir.

VI. A elle je me dévoue et me rends et me donne, et je veux la servir et l’honorer, car à elle vont toutes mes pensées et en elle est mon espoir ; en elle j’ai fixé mon désir, envers elle je suis attentif et dévoué ; et je la supplie de me soulager promptement de mes maux et de mes peines, et de ne pas trop malmener mon cœur accompli, puisqu’elle le retient près d’elle.

VII. Et puisque le souffre en silence les douleurs que je ressens à cause d’elle, et que je ne porte pas mes hommages ailleurs, je la supplie de garder le corps près d’elle, puisqu’elle tient le cœur en sa prison !

 

 

 

 

 

 

 

 

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