[DIALOGUE DU TROUBADOUR AVEC LUI-MÊME SUR LE BONHEUR EN AMOUR ET LA DISCRÉTION]
I. D’un doux et beau plaisir agréable proviennent sans effort mes chants sincères et pleins de valeur ; car, si mon divertissement poétique plaît aux fidèles croyants en courtoisie, et si je fais quelque chose de bien, cela me vient de ma dame, à qui j’en suis reconnaissant. C’est elle que je désire, et je ne détourne pas ailleurs ce désir, car je l’aime et je l’adore et l’ai choisie parce qu’elle est la meilleure.
II. Je ne m’applique qu’à son seul vouloir, car de son savoir j’apprends une telle science que les meilleurs connaisseurs m’en savent gré. Si aimablement m’assiste sa miséricorde que je sais maintenant être patient, et c’est ainsi que je suis heureux en amour, et que je pense toujours à ma jouissance ; et jamais à nul soupirant d’amour n’est advenu tant de richesse.
III. Et je le proclame souvent, car au soir clair et suave où je fus comblé je me prends à penser avec amour… — Je suis bien sot, et peu patient ! car ma bouche ne se retient guère de parler ; pour cela je dois m’irriter contre moi-même, quand je pense aux mérites de ma dame ; et un fou peut trop parler ! — Suis-je donc fou, si je dis qu’elle me favorise ? — Oui, si ces paroles sont follement utilisées…
IV. Comme elle m’y a autorisé, elle entend que j’aie loisir de dire peu à peu les bienfaits qu’elle m’a donnés… — Paix ! avec patience, ferme la bouche ! Ne te souvient-il pas que l’amant se perd s’il ne croit pas ? Tu peux fort bien établir la vérité. — Veut-elle me tuer ? C’est ainsi que me secourt celle que je sers ? et je mourrai, si je tais sa louange, ou si les paroles ne lui plaisent pas !
V. Je dois donc être bien craintif et soucieux ; mais, à celle que j’espère, reconnaissant, je rends grâce des chaines chargées d’honneur dont elle m’a fait présent ; et elle sait, même si elle ne me voit pas, que je lui suis si loyalement fidèle que dans mon cœur je la contemple ! et j’en soupire de douleur et j’en tire un cruel martyre, car, à me répéter, j’ai peur qu’elle ne me tienne pour menteur…
VI. Peut-elle donc se soucier si je mens ? — Oui, certes elle veut te voir. Va t’en ! détruis tous autres pensers nés de lâches soucis. — Il te convient de trembler ! — Je vais donc, et que Joie me mène, si bien que je doive en rire de plaisir ! — Et ne traîne pas, chanson ! Cours vite, sans te soustraire, vers Sobira, mon seigneur, que Valeur prend pour auxiliaire.
VII. J’ose choisir et distinguer Agout et Plus Avinen, car avec eux j’obtiens et mérite et valeur.