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Français
Jean Mouzat

[LE TROUBADOUR FIDÈLE REPOUSSE UN « AMOUR NOIR » POUR REVENIR A SA DAME]

I. Maintenant, le monde (1) est vermeil et vert, et couvert de maintes couleurs ; et la brune et noire bise cesse, et les oiseaux desserrent leur bec ; pour cela j’ai envie de déployer un poème tel que je ne pourrais le composer si j’étais en désarroi.

II. Mais maintenant me dédommage et me relève des souffrances que j’avais subies, non pas celle qui devrait le faire, mais une autre qui me tira de mes maux lorsqu’elle vit le grand tourment qui m’advint, et dont jamais je ne m’éloignerais, si n’était la joie parfaite qui me revient…

III. … de ma Dame, qui m’a élevé si haut, et c’est pourquoi je puis et dois être certain qu’elle ne serait pas mesquine envers moi, d’autant plus qu’il lui plaît — et je ne suis pas niais ! — que je me dévoue à elle à son plaisir — et que l’autre, qui toujours me nuirait, s’en retourne, comme elle était venue…

IV. … avec sa tromperie qui change et se tortille, et avec ses belles paroles fausses et obscures qu’elle s’en retourne, et avec son amour noir, qui’a deux langues et deux becs ; mais elle ne se soucie pas, à qui que ce soit que je l’expose, de la vérité du mal que j’en pourrais dire, si je voulais, pour le dommage dans lequel elle me maintient.

V. Ceci ne convient pas, car la belle m’en soulage et relève — et bien que là-bas j’aie souffert des tourments que je n’aurais pas dû souffrir, que je m’en éloigne [de cette trompeuse] et que je laisse mes torts avec elle — et je suis reconnaissant [à ma dame], car elle m’a comblé et élevé ; et jamais plus pour une autre je ne m’éloignerai, à cause du mal qui me revient [et dont je suis responsable].

VI. Pour cela je dis qu’en toute bonne foi ma dame a raison de me relever, et j’en suis certain, et de plus je dis que je ne me séparerais point d’elle même si j’en recevais du chagrin — et je suis bien niais ! — Pourquoi? — Parce que je dis que je me dévoue à elle — Je m’en vais donc ? — Oui — Cela ne nuirait-il donc pas, à dire vrai, à la belle joie qui me vient ?

VII. — Si fait, car la joie est trop verte (2), et ce dire ne serait jamais supporté par elle, et elle n’hésiterait pas ; il y a des êtres au bec tranchant et tels que jamais Joie ne croît par leur vol, (3) — au contraire, chacun d’eux me nuirait auprès de celle dont je suis le vassal pour mon être même ! (4)

VIII. D’ou le me réjouis et joue (5), je déploie et envoie à elle mon poème, devant Agout, de qui je ne m’éloignerais point, si n’était la joie qui ici me vient. 

 

1) Le monde ou le mont. L’un ou l’autre est possible selon l’orthographe et le contexte. Nous penchons cependant pour la première solution. (

2) On ne peut s’empêcher de penser à « Ils sont trop verts », mais il nous semble que le poète veut dire ici : trop neuve, trop récente, peu sûre. (

3) Il y a là sans doute un jeu de mots sur vol (d’oiseaux) et vol (volonté). (

4) Cette expression se retrouve dans Mas la bella de cui mi mezeis tenh, 167, 36, vers 1. (

5) Nous comprenons deport, 1ère pers. sing. ind. prést de deportar. Cf. le commentaire. (

 

 

 

 

 

 

 

 

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