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Français
Jean Mouzat

[QUI DOIT LE MIEUX SERVIR SA DAME ? UN AMANT MALHEUREUX OU UN AMANT COMBLÉ ?]

I. Gaucelm Faidit, dites-moi, à votre sens, ce qui en est de deux amoureux sincères : l’un d’eux reçoit les faveurs de sa dame, et l’autre n’en obtient que dommage, peines et maux — mais aucun des deux ne peut changer d’amour — Quel est celui qui doit le plus s’efforcer de bien servir sa dame ? En ceci, jugez le droit d’amour, et puis, défendez la conduite de celui que vous voudrez.

II. Messire Aimeric, ce n’est pas là une affaire commune (1), que celui qui toujours reçoit d’amour douleurs et peines doive être aussi courtois dans le service de sa dame que celui dont tous les désirs sont accomplis ! Ce n’est pas raisonnable, et il ne faut pas soutenir que l’infortuné doive faire autant d’efforts que celui qui est loyalement aimé.

III. Gaucelm Faidit, un prétendant vulgaire devrait choisir comme vous l’avez fait — Car un tel amoureux ne sert pas réellement sa dame s’il sait bien qu’il la sert à coup sûr (2) ; il ne fait pas d’efforts, et n’accomplit rien de louable, celui qui sait faire sortir un bien d’un autre bien ; mais, sachez-le, celui qui d’un mal peut faire naître un bien par un service exemplaire, il mérite double gratitude.

IV. Aimeric, vous défendez avec distinction ce qui est faux, et votre raisonnement n’est que niaiseries… Comment osez-vous dire que l’amant pour qui on a de la miséricorde ne doit pas mieux servir que le mal-aimé qui devrait se suicider ? Elle sera folle, la dame qui vous accordera ses faveurs, si sans elles vous êtes valeureux et ardent ! et, si elle vous fait du bien, vous ne vaudrez jamais rien !

V. Gaucelm, je sais bien que vous êtes entièrement ainsi ! Croyez-vous que je n’aie rien appris de vous ? Et donc, ne doit-il pas faire effort sans relâche, le pauvre, jusqu’a ce qu’il soit égal au riche ? Pourtant, le malade désire guérir, plus volontiers qu’un autre, sain de corps, ne désire courir après la maladie ! et celui qui est peu avancé devrait faire plus d’efforts que celui qui est vraiment estimé.

VI. Aimeric, c’est une chose trop injuste que vous disiez qu’un amant dont on apprécierait le mérite ne doit pas mieux garder sa conquête, par des prouesses et de nobles exploits, que celui qui n’a que des soucis, et au contraire se fait outrager ; son service n’est que perte et folie, puisque rien de ce qu’il fait ne plaît à sa dame…

VII. Gaucelm, le Comte de Foix, qui mérite les louanges, saura bien nous juger et nous départager, et puisque, d’ailleurs, comme vous ne m’avez pas persuadé, je ne puis être en bonne justice vaincu par vous.

VIII. Aimeric, il saura bien choisir le meilleur parti, le vaillant Comte, et il prononcera le jugement équitable, car celui-là connaît bien le droit d’amour qui par amour est souvent plein d’allégresse et aussi de tristesse.

 

1Communal a aussi le sens de justement partagé, équitable. (E. Levy, Petit Dict., p. 88). (

2) Le texte paraît incohérent si, avec tous les Mss, on lit : si non conosc que-l servirs sia sals. Nous pensons qu’il faut lire nonben. (

 

 

 

 

 

 

 

 

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