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Français
Jean Mouzat

[RUPTURE AVEC UNE BELLE DAME SANS MERCI]

I. Amour a pris bien de la peine pour me détruire, pendant longtemps ! c’est pour quoi je porte, plainte contre lui, car il y aura bientôt sept ans (1) qu’il m’a fait aimer violemment et sans mesur, celle qui me fit perdre joie et bonheur, car je n’ai jamais pu arracher la douleur de mon cœur ! j’avais pourtant bien obtenu maintes faveurs et maints plaisirs, ce qui augmente mes griefs : car le malheur est bien difficile à supporter pour celui qui était accoutumé à jouir du bien-être.

II. Malgré moi j’ai souffert, car je ne puis m’en séparer, et il est déraisonnable qu’un amant raffiné soit rabaissé en amour alors qu’il est au plus mal, mais Amour veut qu’un amant soit malheureux et pour cette raison, il est juste qu’en amour on ne suive point droiture, et que le désir y vainque le bon sens ; mais je ne conteste pas son bon droit, bien qu’en une autre affaire cela semblerait grande injustice ; et que celle que j’aime puisse me tuer légalement, et que, moi, j’aime celle qui me fait sécher sur pied.

III. Il serait, sans erreur, convenable qu’en amour ne régnât ni méchancéte ni tromperie, mais il conviendrait aussi, puis que son renom est si grand, et qu’Amour est son nom, qu’Amour fût sans fausseté ; mais il est envers moi si cruel et si dur, parce que je suis envers lui loyal, doux et humble, que pour mon malheur il a perdu le nom d’Amour, car il se trouve qu’il ne m’apporte aucun se cours, et je suis comme celui qui se voit périr au milieu de la mer et ne peut ni y demeurer ni en sortir.

IV. Je n’ai pas le pouvoir de fuir mon malheur, si durement je reste en une affreuse incertitude ; et ma dame, parce qu’elle est belle et de haut prix, et sans merci, n’a nullement cure de ma mort, mais au contraire quand je la supplie elle m’ordonne et me conjure de la quitter ; et puisque rien n’avance mes affaires, je ferais mieux de suivre ses ordres — mais je ne puis, car ma volonté immuable, mon ferme cœur et mon amoureux désir, lorsqu’elle me traite de la pire façon, me la rendent encore plus chère.

V. Et pourquoi donc fais-je de la sorte ? Car j’oserai vous dire ceci : puisqu’elle ne veut pas m’accepter, ni moi ni mes chants, envers moi-même je suis traître et truand. Regardez comme je suis fou ! consciemment, et ouvertement, je me fais bien plus de mal qu’elle ne m’en fait, et cent fois plus ! et, si sa personne bien faite et bien tournée ne veut pas m’aimer, elle ne me fait pas plus grand tort et plus grand mal que moi-même, qui mets tous mes efforts à me nuire !

VI. C’est ainsi qu’en cela je fais si grande faute que je me hais moi-même, puisque je l’aime tant qu’une seule aimable mine, ou une seule bonne parole, d’elle qui parle si bien, pourrait me rendre — qu’elle en soit certaine ! — riche et comblé de tout ce qui me manque ! Et puis, puisqu’elle est chiche et avare envers moi, je voudrais, à regret, accepter l’offre plus intéressante de mon Thesaur seigneur de Pontestura — qui reçoit de toute sorte de gens des louanges pour son mérite — mais je ne crois pas avoir jamais vu situation où il soit aussi difficile de changer !

VII. Chanson, vers celle à cause de qui ma poésie est estimée, vers Ventadour je veux que tu te diriges en grande hâte, car en elles ont tant de bonheur et de chance que tout le monde voudra, à ce départ pour l’honorer, t’écouter et t’apprendre.

 

1) ou dix ans, selon les manuscrits IKU. ()

 

 

 

 

 

 

 

 

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