[ROTROUENGE D’UN PRINTEMPS D’OUTREMER]
I. Quand je vois les jardins reverdir et que j’entends chanter les oiselets, et que le mois de mars nous est si doux, alors se renouvellent mes soucis, car je me souviens d’un clair visage que je ne puis pas oublier car j’ai établi mon cœur dans un tel service d’amour que j’en meurs et que j’en vis et que j’en vis et en meurs.
II. La belle dont je suis l’ami m’a fait passer par delà la mer, et m’a dépossédé de mon pays : pourtant elle ne me fait pas aller si loin que je n’aie requis [et mendié] son amour en deçà, [avant le départ] … et pour cela il me faudrait retourner vers elle… car j’ai établi mon cœur en un tel service d’amour que j’en meurs et j’en vis, et en vis et en meurs.
III Hélas ! Je sais pourquoi je suis en peine, c’est qu’elle en aime un autre plus que moi ! et je sais que jamais elle n’aura merci de moi, qui ai mal fait de la fuir, si elle n’oublie point sa haute condition, et ce qu’elle est et qui le suis… car j’ai établi mon cœur en un tel service d’amour que j’en meurs et j’en vis et en vis et en meurs.
IV. Je ne puis m’empêcher de revenir à elle qui me tue et me détruit, car elle m’a blessé le cœur d’un amour qui vers elle me ramène et me conduit ; cependant je redoute et j’ai peur que lorsqu’elle me verra je ne lui sois odieux… car j’ai établi mon cœur en un tel service d’amour que j’en meurs et j’en vis, et en vis et en meurs.
V. Je sais que ce tourment m’occit et me mène à la détresse, et je sais qu’elle n’aura pas miséricorde de moi si elle ne met en oubli sa puissance, son prix et sa beauté — mais celui que je suis ne l’a point oublié… car j’ai établi mon cœur en un tel service d’amour que j’en meurs et j’en vis, et en vis et en meurs.
VI. Haute dame, par Dieu je vous prie, avec une simple et franche humilité, de regarder vers votre ami, et ainsi vous ferez grande faveur et bonté ; et Dieu n’aura jamais merci de celle qui n’a point pitié d’autrui… et j’ai établi mon cœur en un tel service d’amour que j’en meurs et j’en vis, et en vis et en meurs !