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Français
Jean Mouzat

[DÉSESPOIR DU POÈTE À LA MORT INOPINÉE DU VAILLANT ROI RICHARD]

I. C’est une chose fort cruelle qu’il m’advienne de devoir dire et retracer en un chant le plus grand malheur et le plus grand deuil que j’aie, hélas ! jamais éprouvé, et que je dois toujours désormais déplorer en pleurant… Car celui qui de Valeur était le chef et le père, le puissant et vaillant Richard, roi des Anglais, est mort — Hélas ! Dieu ! quelle perte et quel dommage ! Quel mot cruel, et qu’il est dur à entendre ! Bien dur est le cœur de celui qui le peut supporter…

II. Mort est le Roi, et mille ans ont passé depuis qu’il y eut et qu’on vit un homme aussi preux, et il n’y aura jamais homme pareil à lui, si libéral, si puissant, si hardi, si prodigue, et je crois qu’Alexandre, le roi qui vainquit Darius, ne donna ni ne dépensa pas autant que lui ; et jamais Charlemagne ni Arthur n’eurent plus de valeur ; car, pour dire la vérité, il sut de par le monde se faire craindre des uns et aimer des autres.

III. Je m’émerveille fort, en voyant le siècle plein de tromperie et de truandise, qu’il y puisse rester un homme sage et courtois, puisque les belles paroles et les glorieux exploits n’y servent de rien, et pour quoi s’y efforce-t-on, peu ou prou, puisque maintenant la Mort nous a montré de quoi elle est capable, en prenant tout d’un coup le meilleur du monde, tout l’honneur, toutes les joies, tous les biens ; et puisque nous voyons que rien n’en peut préserver, on devrait bien moins redouter de mourir !

IV. Hélas, seigneur roi vaillant, qu’adviendra-t-il désormais des armes et des tournois rudes et épais, des riches cours et des beaux dons, puisque vous n’y serez plus, vous qui en étiez le maître et le chef ? Et que feront ceux, promis aux mauvais traitements, qui s’étaient mis à votre service et en attendaient récompense ? Et que feront ceux, aui maintenant devraient se tuer, que vous aviez fait accéder à la richesse ou au pouvoir ?

V. Long chagrin et piètre vie et toujours deuil, ce sera là leur sort — Et les Sarrazins, les Turcs, les Païens et les Persans, qui vous craignaient plus qu’aucun autre homme né de mère, verront tant orgueilleusement croître leurs forces, que le Saint Sépulcre ne sera conquis que bien plus tard — Mais Dieu le veut ainsi… car, s’il ne l’avait pas permis, et que vous, seigneur, eussiez vécu, sans nul doute vous les auriez fait fuir de Syrie.

VI. Désormais il n’y a pas d’espoir que les rois et les princes qui pourraient le reprendre aillent jamais là-bas ! Cependant, tous ceux qui seront à votre place doivent considérer comme vous aimiez Valeur et Prix, et ce que furent vos deux valeureux frères, le Jeune Roi et le courtois Comte Geoffroi… Et celui qui restera à votre place bien doit avoir de vous trois le haut courage, et le ferme propos d’accomplir de vaillants exploits, et le goût des faits d’armes.

VII. Ah ! Seigneur Dieu ! vous qui vraiment pardonnez, vrai Dieu, vrai Homme, vraie Vie, miséricorde ! Pardonnez-lui, il en a grand besoin ; et ne considérez pas son péché, mais qu’il Vous souvienne comment il alla vous servir !

 

 

 

 

 

 

 

 

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