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Français
Jean Mouzat

[LE TROUBADOUR, RÉCOMPENSÉ, PUIS FRUSTRÉ, MALGRÉ L’AMOUR DE SA DAME PARTIRA COMBATTRE EN SYRIE]

I. Mais la belle, de qui je dépends pour mon être même (1), que je désire et supplie, et que j’aime en toute bonne foi, ne veut pas que je l’aime ni que le lui demande merci, car cela ne lui plaît point, tellement que je ne sais pourquoi je chante encore — car, dans la plus grande affaire que j’attende, je n’espère ni plaisir ni jouissance, et c’est pourquoi je ne puis écrire une joyeuse chanson, et ce sera un exploit si je parviens à la faire.

II. Car vraiment elle me tue et me torture et me tourmente, celle que j’aime mille fois plus que moi-même ; et puisqu’ainsi il lui plaît de me bannir loin d’elle, je ne connais pour ce faire qu’un seul moyen, qui n’a guère de valeur : si elle veut que je m’éloigne, qu’elle m’enlève l’esprit et le cœur et les yeux, et alors je m’en séparerai, si le peux — sinon, qu’elle fasse à son idée, car contre elle je n’ai ni force ni génie.

III. Et je sais pas du tout, si par Merci je n’y arrive point, comment il pourrait se faire que j’obtienne d’elle quelque chose, et par Merci ou par autre chose, je n’y crois pas — que ferai-je donc ? Me voici en proie à la souffrance, et bien mort si elle ne me rend le bon espoir ou elle avait en secret mis mon cœur, là-bas où elle me retint et souffrit que je fusse larron d’un beau plaisir, et voilà pourquoi je dédaigne toute autre qu’elle.

IV. Selon l’honneur, or donc je le maintiens, de son aimable personne j’obtins et pris maint bien, qu’elle me promit quand elle m’octroya son amour, ce dont il ne lui souvient point ; et, si cela lui plaisait, pour elle ce ne serait rien du tout de retirer ce qu’elle promit avec force et librement — et je suis entièrement à ses ordres, sauf sur ce point que rien ne peut empêcher que je l’aime toujours, car je ne me souviens de rien d’autre.

V. Et, puisque je demeure ici, car je ne suis pas encore parti pour la Syrie, Dieu sait pourquoi ceci m’arrive, que ma dame me retienne, et aussi le roi d’ Angleterre ; l’une par amour et l’autre pour faire peu de chose du grand secours qu’il m’avait solennellement promis ; il ne me reste que peu de chose, mais j’irai pourtant bien, plus lentement, car j’ai à cœur d’aller outremer, et je change nullement d’intention, car au nom de Dieu j’ai levé l’enseigne !

 

1) Il s’agit ici de tenure féodale. Le poète déclare que c’est de sa dame suzeraine qu’il reçoit son être et sa vie même, comme en fief.

 

 

 

 

 

 

 

 

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