[TOT OU TARD ?]
I. Gaucelm, dites-moi — à votre sens, quel est l’amant qui a le plus de plaisir : celui qui avec son aimable dame couche toute une nuit et ne fait pas l’acte d’amour, ou celui qui vient voir sa dame et n’a guère que le temps de le faire une seule fois, et sur le champ s’en retourne ?
II. Peirol, à mon escient, celui qui peut une nuit coucher près de sa dame doit bien avoir deux fois plus de joie que celui qui fait l’acte et puis s’en va ; car à coucher avec elle il a cent plaisirs, si du moins il sait les faire naître, et en cela il est meilleur amant, plus habile que celui qui en toute hâte prend son plaisir.
III. Gaucelm, il a vraiment une épouvantable épreuve, celui qui est en pouvoir d’autrui, et qui couche toute une nuit le long de celle qui lui est la plus chère, et ne peut avoir ce qu’il désire ni faire sa volonté, et aucun pécheur en enfer ne reçoit un pareil tourment !
IV. Peirol, vous parlez fort bien, toutefois vous ne faites pas paraître qu’en amour vous en sachiez autant que moi : vous dites qu’un homme souffre près de sa dame en l’embrassant et en lui donnant souvent des baisers ; à mon avis, ce n’est pas un amant courtois, celui que de tels mauvais traitetements épouvantent.
V. Gaucelm, ici, sans conteste, vous ne pouvez pas à bon droit maintenir cela : si l’acte n’a pas lieu quand il en est temps, cela détruit tous les autres plaisirs ; et a celui qui reçoit rapidement son plaisir avant de s’en aller, cette joie dont il a le larcin lui dure ensuite longuement.