I. L'autre jour, en la douce saison de Pâques, au bord d'une rivière j'allai, cherchant la fleur nouvelle, au bord d'un sentier. A cause de la joie [qui me venait] de la verdure, et parce que parfaite est la sincérité de l'amour que je porte à ma véridique [amie], j'éprouvais au cœur une douce sensation, et, à la première fleur que je rencontrai, je me mis à pleurer : mais bientôt, je tournai mes regards d'un autre côté et je vis, à l'ombre, une bergère au teint frais, blanche comme un tapis de neige. Ses yeux sont plus beaux que [ceux de] nul oiseau, charmants, pleins de douceur ; car elle met sur le bon chemin et mene sur la route de l'amour noble et pur, mille [gens] qui ne cherchent que vile louange. Et qui la voit sait bien, tout de suite, qu'on ne peut rien lui dire de mal, tant elle est charmante.
II. Quand je vis sa gracieuse et gente personne, d'aimable manière, et son visage frais et rieur, et son clair ris, j'oubliai toute ma tristesse, car elle me parut de haute naissance, à [voir] sa personne aimable, bien faite, et de grande noblesse. Et, moi-même, doucement et gentiment, car je ne lui voulais point [envoyer] de messager, je me dirigeai humblement vers elle. Dans l’enclos, elle gardait trois agneaux seulement, et je maudis en mon cœur celui qui le premier abaissa sa race. — « Jeune fille, dis-je, je prie Dieu qu'il vous protège et vous garde de mal faire, car il tous fit vertueuse, sans pareille, et de plaisante personne ; qu’il vous garde de faillir car, en vérité, je peux bien vous dire qu'il vous fit sans folie, pour le plaisir de ceux qui vous voient ».
III. Ecoutez-moi l'aimable réponse qu'elle me fit, d'une mine amoureuse, pour ravir [mon] cœur fidèle : « Ami, vous me semblez être de noble origine, courtois et valeureux ; mais par votre attitude nous saurons, avant que vous vous éloigniez de nous, si vous êtes amant sincère ; mais je veux tout d'abord savoir, car je vous vois tellement malheureux et mélancolique, votre nom et le lieu d'où vous êtes venu ». Et je lui dis en hâte: « Il me sera facile de répondre : [je suis] de Toulouse, et j'ai nom Joyos ! Cela ne me convient guère, car Amour ne me secourt point du tout ; au contraire, je meurs en aimant, cachant mon malheur, louant, sans me plaindre, ma Dame que j'aime d'un cœur constant. Et je ne pense pas qu'elle doive me tuer, et je ne me connais aucun tort ; je dois au contraire, selon justice, détourner et retirer mon cœur de sa domination ».