[VAUT-IL MIEUX ÊTRE L’AMANT QUE LE MARI ? ]
I. Gaucelm, que vous semble d’un cavalier affable, preux, libéral et généreux, qui s’est séparé de son épouse à cause de sa conduite fâcheuse et affligeante, bien qu’elle fut aimable, courtoise et gaie ; et de l’amant qui sait qu’elle est envers lui fidèle, et l’a épousée sans querelle ni opposition. Lequel des deux, vous semble-t-il, en est le plus satisfait : celui qui s’est délivré de son souci, ou l’autre qui maintenant a ce qui lui plaît le plus ?
II. Pierre de Montalbert, je ne recherche pas un entretien sur un tel dilemme, car il reste que celui qui conquiert ce qu’il désire le plus a le cœur si joyeux qu’il n’y a rien au monde qui lui plaise autant ; je ne dis pas du tout que l’autre n’ait pas des joies, lui qui s’est délivré du souci qui le tenait ; mais sa joie n’est pas aussi parfaite que celle de celui qui est heureux constamment avec celle qu’il désire le plus, et ainsi est comblé.
III. Gaucelm, bien que l’amant ait une joie complète, le mari en a cent fois autant, car il perd douleur, peine et tourment quand il abandonne son embarras, et personne ne peut le savoir s’il ne l’essaie, et ne peut savoir comment le mari se décourage, quand celle qu’il n’aime nullement reste par force en sa possession, et quand il a raisonnablement fait et acquis qu’il peut quitter celle qui le chagrine, aucune joie plus grande ne peut lui être donnée !
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IV. Gaucelm, le mari à qui il est arrivé une chose si agréable agirait bien à la légère si jamais de toute sa vie il oubliait une joie aussi extrême ; désormais il ne se soucie pas de tourment ni de souffrance puisqu’il est sorti d’une telle demeure cruelle, et il devrait en faire fête tous les mois ; et l’amant qui s’est chargé de celle-là même, bien qu’il s’en fût d’abord enamouré, son cœur peut très vite changer …
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