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Français
Jean Audiau

I. — L'autre jour, au début d'Avril, à cause de la douceur de la saison nouvelle, et de la joie [qui me venait] de cette époque délicieuse, j'allai tout seul à travers une prairie ; dans un enclos, près d'un courtil, je trouvai une bergère délurée (de sa personne), vêtue de serge noire, avec une cape grise sans fourrure. Elle est belle et distinguée ; son amour me plaît, tant elle est bien faite ; elle faisait une couronne de fleurs mêlés de menthe ; elle a trente moutons et s'amuse toute seule auprès d'un arbrisseau. Elle se dit à elle-même : « Hélas ! Je suis seule et le temps passe ! Malheureuse, je plains ma jeunesse car je n'ai point d'ami véritable. »

II. — Moi qui vis sa charmante et noble personne, je la saluai car elle me plaisait, et elle me répondit aussitôt, comme si elle eût été châtelaine : « Jongleur, vous qui avez l'esprit subtil, trouvez-vous quelqu'un qui vous honore ou vous réclame ? Depuis qu'Amour s'est détourné du droit chemin, mérite n'eut plus ni valeur ni empire. Au contraire, la gent trompeuse des riches s'effraie si on lui offre joyeux entretien et amusement. J'ai bien du chagrin, si j'en fus heureuse autrefois, d'Amour qui me tourmente sous ma robe. Je ne cesserai pas de bien aimer, ni ne manquerai de consentir à tout ce qui plaira à mon ami, quand je l'aurai. »

III. — « Jeune fille, vous avez valeur et charme ; faites de moi votre amant ! Je serai envers vous loyal et soumis, et nul n'en saura rien par moi : je vous ferai [faire] des vêtements neufs, quand j'aurai vendu mon cheval, et nul de vos parents ne saura d'où cela vous est venu. Par un heureux hasard, je vous porte des gants et une ceinture, qui vous iront, et un frontal courbé. Et, si le temps [de notre amour] se prolonge, vous aurez un vêtement de drap brun foncé. Désormais, Dieu me soit en aide !, je n'en porte plus à d'autres filles ; mais je vous garantis [au contraire] que vous serez sûre de votre ami. » — « Seigneur, je le veux fort.

IV. — Jongleur, grande est la distinction que je vous vois, et j'ai bien reconnu que, si je réalisais vos désirs, jamais je ne vous perdrais, [même] à demi. Et, bien que je vous aie fait bon accueil, et tenu joyeux propos, si j'ai un mari, le bon sens ne me permet point de lui faire, pour vous, porter des cornes. Je n'ai pas souci d'ami sans foi, chez qui le péché s'allie à de mauvaises dispositions ; au contraire, si ma conduite devient meilleure, le temps que j'ai passé ne manquera pas pour moi de douceur, car Frère Jean le dit bien : le plaisir engendre la mort ! — Je me sens chaste et pure. Pourquoi en ferais-je tort à Dieu ? »

V. — « Jeune fille, Dieu me pardonne, vous êtes beaucoup plus savante que Caton ! Car, pour moi, je ne sais plus pénible occupation que [celle de] servir sans récompense. »

VI. — « Seigneur, nous savons parfaitement ce que sont les promesses trompeuses [faites] sans présent ; aussi n'ai-je pas l'intention de vous payer tribut ; allez chercher ailleurs votre profit ! ».

 

 

 

 

 

 

 

 

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