I. — L'hiver ne m'empêche pas de chanter et l'été ne m'en rend pas plus désireux, mais en tous temps, quand un motif m'y pousse, je trouve mon esprit disposé à chanter. Et il est bien évident que la poésie n'est pas une peine pour moi, car je suis doué d'un tel talent que je chante, quand je veux, sur le sujet qui me plaît.
II. — Je chante sans plaisir et sans espoir d'éveiller de la reconnaissance, cependant mon chant ne sera ni triste ni joyeux, car je ne me félicite ni ne me plains de Beau-Déport, que j'ai aimée sans l'être moi-même. En cela, je ressemble à un enfant, car j'ai souffert de nombreuses années sans essayer seulement de me tourner d'un autre côté.
III. — Je vois que le monde m'a vilainement trompé, car j'avais trouvé du plaisir à le fréquenter, croyant que mon bon sens et mon savoir me seraient profitables. Mais maintenant, j'en ai le coeur plein de désespoir : avec de vilaines actions on est plus heureux qu'avec de la discrétion et du bon sens. Et je veux en être abusé.
IV. — Si j'ai servi, c'est sans récompense, ni de mes maîtres, ni du monde pervers, ni de ma Dame, dont je ne me plains pas, car son amour m'a donné un tel talent que j'en ai bien assez pour moi ; mais ce ne m'est pas un grand avantage, et le temps que j'ai perdu m'aurait rapporté reconnaissance et honneur.
V. — Si, cette fois, ma situation n'est pas rétablie par le vaillant roi de Castille, Alphonse, si bien que la récompense paraisse bien être de son fait, je prendrai congé de mes chants et de lui ; mais je ne me plaindrai pas : ce serait fort inconvenant à moi qui l'ai tant loué à juste raison.
VI. — Je ne suis pas, non plus, disposé, Bon Roi, à adresser mes chants à aucun autre souverain ; je n'ai même pas été payé depuis quinze années révolues.
VII. — Donc, puisque je me suis donné à vous, je dois paraître vôtre, si cela vous agrée.
