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026a,I

Français
R. Nelli

1 Dans un verger clos de murs,
  à l'ombre d'un laurier feuillu,
  j'entendis un perroquet discuter
  sur tel sujet que je vais vous dire.
5 Il est venu devant une dame
  et lui apporte de lointains saluts,
  en lui disant : « Dame, Dieu vous sauve !
  Je suis un messager : qu'il ne vous déplaise
  de m'entendre dire pourquoi je suis venu
10 ainsi, vers vous, dans ce jardin :
  Le meilleur chevalier qui fut jamais,
  le plus distingué, le plus gai,
  Antiphanor, le fils du roi,
  qui a organisé un tournoi en votre honneur,
15 vous envoie cent mille saluts
  et vous prie, par mon entremise, de l'aimer,
  car, sans vous, il ne peut guérir
  du mal d'amour qui le fait languir.
  Et nul médecin ne le peut secourir
20 que vous qui l'avez en votre pouvoir.
  Vous pouvez le guérir, s'il vous plaît,
  en lui envoyant seulement, par mes soins,
  un joyau qu'il portera comme gage de votre amour.
  Vous l'aurez, ainsi, délivré de sa douleur,
25 et, ma foi, je vous dirai encore
  pourquoi vous devez avoir pitié de lui,
  car, s'il vous plaît, il veut mourir pour vous
  plutôt que de vivre joyeux pour une autre. »
  Alors la Dame lui répond
30 en disant : l'Ami, d'où êtes vous venu
  et que cherchez-vous donc ici ?
  Vous me semblez bien éloquent !
  Avez-vous jamais ouï dire que j'eusse donné
  ou offert un joyau
35 à aucun chrétien ?
  Vous vous êtes donné bien du mal en vain.
  Mais je vous vois si galant
  que je vous autorise dans ce verger,
  à parler et à me dire ce que vous voudrez :
40 Vous n'y serez ni forcé ni pris.
  Mais je regrette, pour l'amour de vous
  qui êtes si gracieux et si bien élevé,
  que vous osiez me donner de tels conseils.
  — « Et moi, Madame, ce qui m'étonne
45 c'est que vous n'aimiez pas mon maître, de bon coeur. »
  — « Perroquet, je veux que vous sachiez bien
  que celui que j'aime est l'homme le plus aimable du monde.
  — « Qui est-ce donc, Madame ? » — « Mon mari. »
  « Il n'est pas juste du tout que le mari
50 jouisse d'un pouvoir absolu.
  Vous pouvez bien l'aimer ostensiblement,
  puis, après, chérir en cachette
  celui qui meurt d'amour
  pour vous, sans nulle feinte. » —
55 « Perroquet, vous êtes trop beau parleur,
  il me semble que si vous étiez chevalier
  vous sauriez gentiment prier les dames.
  Je ne veux pas cependant rompre cet entretien
  avant de vous avoir demandé pourquoi
60 je devais commettre trahison telle
  envers celui à qui j'ai juré ma foi. »
  « Dame, je vous le dirai volontiers :
  C'est qu'Amour ne se soucie point d'un serment :
  La volonté suit le désir.
65 « Vous parlez bien, avec l'aide de Dieu,
  maintenant, je vous ai vaincu :
  De bonne foi, j'aime mon mari
  plus que tout homme au monde.
  Et je ne veux pas d'autre amant.
70 Comment osez-vous me proposer de faire telle sottise
  d'aimer là où mon coeur n'est pas ? »
  Dame, ce ne sont point là sottises,
  et il me semble que vous vous mettez en colère.
  Cependant, si vous voulez m'écouter,
75 raisonnablement vous ne pourrez plus vous défendre
  d'aimer Antiphanor.
  Je vous accorde qu'en toute justice,
  vous devez aimer aux yeux de tout le monde
  votre mari plus que nul autre,
80 mais ensuite, vous devez avoir merci
  de celui qui meurt pour l'amour de vous.
  Ne vous souvient-il pas de Blanchefleur,
  qui aima Floris sans tromperie,
  ni d'Iseut qui chérit Tristan,
85 ni de Thisbé, quand par la fente
  elle allait parler à Pirame,
  si bien que personne ne pouvait l'en détourner ?
  Sur elles vous pouvez prendre exemple.
  Quel profit aurez-vous si Antiphanor
90 languit et meurt de votre amour !
  Le dieu d'amour et sa puissance
  je sais qu'il vous en puniront,
  et moi-même, je dirai de vous
  tout le mal que je pourrai,
95 si, sous peu, vous ne m'accordez
  que, s'il vous aime, vous l'aimez.
  « Perroquet, Dieu me conseille !
  Je vous répète que je m'émerveille
  de ce que vous sachiez si gentiment parler.
100 Et puisque vous me voulez tant prier
  pour Antiphanor, votre maître,
  je vous supplie au nom du dieu d'amour
  de vous en aller sans plus tarder,
  et je vous prie encore de lui dire
105 que je prendrai bientôt une décision
  et que je lui manifesterai ma volonté.
  Et si tant est qu'il me veuille aimer,
  d'autant vous pouvez l'encourager.
  Dites-lui que, grâce à vos prières, je l'aimerai
110 et ne me séparerai jamais de lui.
  Portez-lui de ma part cette bague
  — je pense qu'il n'y en a pas de plus belle au monde —
  avec ce cordon garni d'or ouvré.
  Qu'il l'accepte pour l'amour de moi !
115 Gardez-vous de vous retarder :
  Dans ce verger vous me retrouverez. »
  Le Perroquet lui répond alors :
  Dame, si Dieu me favorise !
  Voilà un beau présent :
120 Je vais le lui porter vraiment ;
  et puisque vous êtes si bien disposée pour lui
  je le saluerai de votre part.
  Madame, le dieu qui n'a jamais menti
  vous accorde Antiphanor pour ami
125 et me permette de voir, avant un an,
  que vous l'aimez d'un coeur sincère !
  Alors leur causerie prend fin.
  De là, plein de bonne volonté
  pour la dame et pour Antiphanor,
130 sans plus attendre, du gai verger,
  droit à son maître, il est venu.
  Et lui raconte comment il s'est conduit :
  Il commence par le grand mérite et la grande beauté
  de la Dame, par ma foi !
135 Et en cela il a agi courtoisement.
  Ensuite, il lui dit : Seigneur, jamais
  ne sera nourri perroquet
  qui parle en faveur de son maître
  aussi bien que je l'ai fait pour votre amour.
140 Je m'en fus, en grand secret, jusqu'au jardin :
  (Je ne voulais pas que quelqu'un
  pût se mettre sur mes traces
  et j'aime mieux être libre que prisonnier.)
  Je trouvais la dame, en effet,
145 et lui fis l'offre de votre amour.
  Elle vous envoie cette bague
  qui, je crois, est la plus belle du monde,
  avec ce cordon garni d'or ouvré,
  afin que vous les preniez par amitié pour elle.
150 Acceptez-les pour l'amour d'elle
  et que Dieu vous fasse bien et honneur !
  Mais je ne sais pour quel motif
  nous ne prendrions pas nos dispositions
  pour pouvoir entrer dans le verger :
155 Je ne sais que vous conseiller.
  Pour moi, je mettrai le feu à la tour
  et au plancher, pour servir votre amour ;
  et quand l'incendie sera allumé,
  vous pourrez entrer tout à loisir
160 pour courtiser votre Dame,
  l'étreindre et l'embrasser. »
  Antiphanor répondit vivement :
  Retournez d'abord au rendez-vous
  pour parler avec elle, s'il vous plaît :
165 Faites-lui part de nos projets. »
  Alors les deux amis se séparent.
  Le Perroquet est pour Antiphanor
  un vrai et sincère ami.
  Vers le verger, il part à tire d'aile.
170 Il rencontre la dame sous un pin
  et la salue en son langage :
  « Dame, que le Dieu qui vous a créée
  vous donne ce que vous désirez le plus
  et vous garde de mal et d'encombre !
175 Pourvu que, votre chevalier,
  vous veuilliez l'aimer aussi loyalement
  qu'il le fait lui-même de tout coeur. »
  — « Perroquet, si Dieu me conseille !
  Le monde entier, s'il était à moi,
180 je le donnerais de bon coeur
  pour l'amour d'Antiphanor.
  Mais ce verger est trop bien fermé,
  les gardes ne se reposent jamais.
  Ils doivent veiller jusqu'au matin
185 et leur ronde ne cesse une seule nuit. »
  « Et ne connaissez-vous pas, Madame, quelque stratagème ?
  — « Moi, non, et je ne m'étonnerais point
  que vous n'en connaissiez pas, non plus. »
  « Si fait, Dame : écoutez-moi maintenant :
190 Je vais revenir vers mon maître
  que j'ai laissé soucieux d'amour.
  Je le ramènerai cette nuit
  et le conduirai au pied du mur :
  Je porterai du feu grégeois, s'il vous plaît,
195 avec lequel je mettrai le feu au clocher,
  à la tour et au plancher ;
  et quand le feu aura pris,
  les gardes y courront aussitôt
  pour l'éteindre à toute force.
200 Quant à vous, n'hésitez pas !
  Pensez à lui et le faites entrer ;
  alors vous pourrez lui parler,
  et, si ce projet vous paraît bon,
  quoi qu'en ait le jaloux,
205 vous pourrez vous donner du plaisir avec lui
  et vous mettre au lit ensemble. »
  Alors la Dame dit : « Cela me plaît.
  Allez prendre Antiphanor tout de suite. »
  Sur ce, le Perroquet s'en va
210 vers Antiphanor qui l'attend.
  Il le trouve à cheval,
  garni de son équipement.
  Il porte le heaume et le haubert
  ainsi que les jambières de fer ;
215 il a chaussé ses éperons d'or.
  Il a l'épée ceinte au côté.
  Le Perroquet vint au-devant de lui.
  « Seigneur, dit-il, à mon avis,
  cette nuit vous verrez celle
220 que vous aimez d'un coeur sincère.
  Votre Dame vous mande par moi
  d'aller vers elle directement.
  Allez vite et chevauchez discrètement !
  Que nul ne suive votre trace !
225 Ni que personne, à moins d'être devin,
  ne puisse savoir votre dessein !
  Nous avons besoin de feu grégeois
  dans un vase de fer ou d'acier.
  Je le prendrai entre mes pattes
230 faites-le moi donner tout de suite. »
  Antiphanor, promptement,
  lui en fait livrer à sa volonté.
  Ils chevauchèrent avec tant d'ardeur
  qu'à la nuit, ils furent près de la tour.
235 Les guetteurs cornent dans le clocher,
  l'un va, l'autre scrute.
  Ils doivent veiller jusqu'au matin,
  et leur ronde ne cesse une seule nuit.
  Alors Antiphanor descend de cheval.
240 Il dépose son équipement tout entier,
  près de son cheval.
  Il garde seulement l'épée d'acier
  ceinte à son flanc.
  Et il n'en a pas besoin, croyez-moi.
245 Sans crainte, d'un coeur assuré,
  il s'avance au pied du mur.
  Le perroquet, de l'autre côté
  entre dans le verger. Il est impatient
  de mettre le feu, car il a laissé son maître
250 tout seul et sans crainte.
  Devant la dame il vient tout d'abord.
  Comme s'il était un épervier,
  il va se poser à ses pieds
  et lui dit aussitôt :
255 « Dame, j'ai laissé mon maître
  désarmé devant le grand portail.
  Pensez à le faire entrer :
  Je vais incendier le château. »
  « Perroquet, à ma connaissance,
260 j'ai fait tout ce qu'il fallait faire.
  J'ai les clefs du château près de moi.
  Les voilà sur ce coussin !
  Allez mettre le feu au château !
  Jamais, je crois, nul oiseau
265 ne tenta un aussi bel exploit
  que celui-là.
  En cachette, le Perroquet,
  du côté de la tour, près de la terrasse,
  va mettre le feu au plancher.
270 De quatre côtés, il a pris.
  Une clameur aussitôt s'élève :
  Au feu ! crie-t-on d'une seule voix.
  Et la dame vient au portail.
  Elle ouvre sans la permission
275 des guetteurs et contre leur gré.
  Antiphanor entre dans le verger :
  En un lit, sous un laurier,
  il va se coucher avec sa dame.
  Nul ne saurait conter
280 la joie qui fut entre eux.
  Ni qui, des deux, fut le plus heureux.
  Il leur sembla, à ce que je crois,
  que ce fût là leur paradis ;
  Un grand plaisir se mêle à leurs ébats.
285 Mais le feu fut bientôt calmé.
  On l'éteignit avec du vinaigre.
  Le Perroquet pensa mourir
  Tant il eut peur pour son maître.
  Aussitôt qu'il put, il vint vers eux
290 et il se pose auprès du lit
  et leur dit : « Que ne vous levez-vous ?
  Alons, debout ! Séparez-vous,
  le feu est mort à l'instant ! »
  Antiphanor, le coeur serré
295 se lève et dit :
  « Dame, que voulez-vous me commander ?
  « Seigneur, de vous efforcer
  d'agir en preux tant que vous pourrez,
  aussi longtemps que vous vivrez dans ce siècle.
300 Elle s'approche de lui et le baise trois fois.
  Antiphanor s'en retourne vivement,
  en fils de roi, avec son courrier.
  Voilà ce que conte Arnaut de Carcassès,
  qui a adressé des prières à maintes dames,
305 pour blâmer les maris
  qui veulent trop surveiller leurs femmes.
  Qu'ils les laissent aller à leur guise !
  …… cela vaudra mieux,
  et désormais aucune d'elles ne faillira.

 

 

 

 

 

 

 

 

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