I. Si j'étais dans une cour où régnerait la justice, je me plaindrais de ma dame, quoiqu'elle soit bonne et belle ; car elle me traite avec tant d'injustice qu'elle n'observe ni promesse ni convention. Comme elle me fait des promesses qu'elle ne tient pas, elle ne craint pas le péché et ne sait ce qu'est la honte.
II. Il eût mieux valu qu'elle m'eût tout été d'abord farouche, plutôt que de me tenir en une si grande irritation ; mais elle est semblable à celui qui tend un piège (à l'oiseleur ?) : avec ses belles apparences elle m'a mis dans une peine mortelle dont je ne puis me guérir sans le secours de celle qui jamais, pour mon malheur, n'eut sa pareille en beauté et en bonté.
III. Dans d'autres affaires, elle est courtoise et distinguée, mais elle agit mal en s'acharnant à me rendre malheureux ; elle me cause plus de douleur, et elle ne s'améliore pas, que le mal de dents, quand il prend à la mâchoire ; car son amour, avec l'aide de toute la Provence, bat et frappe mon coeur qui ne se modère pas.
IV. Comme je ne vois pas mon Rainier de Marseille, quoique je vive, ce n'est pas une vie ; le malade qui a souvent la fièvre se guérit difficilement ; il meurt, si son mal dure. Donc je suis bien mort, si ce désir qui m'enlève souvent le souffle se renouvelle constamment.
V. A ce qu'il me semble, je l'aurai conquise bien tard, car nulle femme ne prend de résolutions aussi dures pour son ami ; plus je l'ai servie de toutes mes forces, plus je la trouve ombrageuse. Puisque je l'aime tant, je suis beaucoup plus fou que le pâtre qui joue du chalumeau sur une belle colline (?).
VI. Mais celui qui est pris par l'Amour est vaincu ; moi, je fus pris quand j'eus vu ma dame, car aucune autre ne lui ressemble en mérite complet joint à une valeur morale parfaite. Aussi suis-je tout à elle et je le serai toujours ; si elle ne me secourt pas, ce sera tort et desmesure.
VII. Chanson, va-t-en vers la vaillante reine en Aragon, car je n'en connais pas dans le monde entier qui soit plus véritablement reine, et pourtant j'en ai vu plus d'une, et je n'en trouve pas d'autre qui soit sans torts et sans sujets de plaintes (?). Celle-ci est franche et loyale, aimée de tout le monde et de Dieu.
VIII. Comme le roi s'élève au-dessus des autres, à un tel roi convient une telle reine.
IX. Beau Castiat, votre mérite surpasse tous les autres, car il s'élève par de plus nobles actions.
X. Que Dieu sauve mon Gazanhat et dame Vierna, car personne ne sait mieux qu'eux donner et faire la guerre.