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Français
J. Anglade

I. J'ai si longuement cherché ce dont je n'avais pas besoin, que j'ai fini par le trouver, comme je le désirais. J'ai perdu et fait un mauvais usage du bien que j'avais et je n'ai rien gagné dont mes amis puissent se réjouir. Un fou, quand il fait ses folies, pense agir en homme sensé et ne s'en aperçoit que quand les choses vont mal pour lui. Je me suis éloigné du plaisir et de l'honneur et la pitié ne m'avance en rien auprès de ma dame ; elle a mon corps, mon coeur et tout ce qui fait ma valeur ; mais elle ne me secourt pas et moi je n'ose me tourner ailleurs.
 
II. La joie qu'elle a en abondance elle me la donne avec parcimonie. J'ai vu pour mon malheur sa grande beauté et sa courtoisie. Elle m'a trahi et trompé ; avec de belles apparences, elle m'a enlevé tout mon coeur, au point que je ne puis le croire. Je l'aime plus que moi : c'est ce qu'elle nie reproche en cherchant volontairement à me faire du tort. Je ne trouve auprès d'elle ni amitié ni pitié, ni miséricorde, ni consentement d'aucun genre. Je crie « pitié » et la pitié ne me secourt pas ; en criant « pitié ! » je pense mourir de douleur.
 
III. Je crie si humblement « pitié » chaque jour que la pitié ferait un péché, si elle ne venait pas me secourir. J'ai longuement crié « miséricorde », mais cela a eu peu de conséquence ; ne l'ayant pas trouvée auprès d'elle, je crois qu'elle est morte. Ma dame a tué pitié et miséricorde, elle dément son doux regard et ses beaux yeux, avec lesquels elle me fit voir une apparence si courtoise que je pensai être plus riche que le roi de France. Elle ressemble en ce point à un hérétique ou à un traitre qui, avec de belles apparences, met l'homme en erreur.
 
IV. Ah ! beau seigneur Castiat, comme je meurs de tristesse ! Car ma méchante ennemie m'a blessé à mort avec son bel accueil. Elle ne se montrerait pas assez bonne envers moi, pour me témoigner au moins un amour de beau-frère : cela suffirait à me faire vivre. Un homme malheureux qui a faim d'amour en prend ce qu'il peut en prendre : je suis dans un semblable état. Mais j'espère bien un bon dédommagement qui compensera mes peines d'amour : car une dame doit secourir son serviteur.
 
V. Je crains de dire grande folie par ma légèreté ; mais on doit me le pardonner, car je ne sais ce que je dis. Me voilà complètement soumis à son caprice ; qu'elle en fasse sa volonté, car cette volonté s'accomplirait d'elle-même (?). Noble dame, s'il vous plaît, je me rends à vous, et s'il ne vous plaît pas, je le fais également. Je reconnais que d'aucune manière je ne puis vous résister. C'est un bien grand malheur pour l'homme qui tombe aux mains d'un seigneur irrité et ne trouve ni soutien ni appui.
 
VI. Jusqu'à ce que j'aie passé le Rhône, là-bas vers la Lombardie, je n'aurai pas mon coeur satisfait, de quelque façon que je sois traité ici. J'ai été si longtemps éloigné de la Provence que je crains que
ma dame ne me tue : ce serait un grand honneur pour moi, si elle le faisait bientôt. Je dois éprouver une crainte mêlée de honte pour avoir été si longtemps loin d'elle. Si le désespoir n'était pas un si grand péché, je me serais désespéré sans aucun doute. Je me rends à elle comme un trompeur : qu'elle fasse ce qui convient à son honneur.
 
VII. Yeux de pitié, bouche de miséricorde, nul homme ne vous voit sans que vous ne le rendiez joyeux ; c'est pourquoi j'ai mis en vous mon ferme espoir et tout mon coeur et toute ma confiance ; je fais de vous ma « maîtresse » et mon seigneur et je vous rends mon coeur de bon gré et de bon amour.
 
VIII. Dame Vierna, je suis heureux de votre amour, pourvu que je voie mon seigneur, Castiat.

 

 

 

 

 

 

 

 

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