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Français
J. Anglade

I. J'ai fait une chanson si tristement que je ne sais comment je l'ai faite. Car jamais, ni de nuit ni de jour, ni soir ni matin, je ne suis maître de mon coeur ni d'aucune de mes pensées. Mais comme dernièrement j'étais en grande agitation, il me vint, au sujet d'amour, un si grand bonheur que je commençai aussitôt à faire une chanson en l'honneur de la dame dont j'ai gardé un si fidèle souvenir.
 
II. Pourquoi donc ma dame me tient-elle en un tel tourment ? Car nul être ne me fut jamais si cher, et dès l'heure où je la vis, je n'ai pu en séparer (partager ?) ni mon coeur, ni mon amour, ni mon intelligence. Si elle cause mon malheur, elle se trompe grandement ; mais si elle me témoignait amitié et pitié, elle ne pourrait pas faire, dans le monde, une plus grande grâce, puisqu'elle a pour cela une raison, c'est que son amour me soutient.
 
III. Mais il ne me semble pas qu'elle en ait bon désir, quoiqu'elle me parle et me sourie et qu'elle me fasse des promesses : mais jamais femme ne mentit si agréablement ni si gentiment. Cependant ses belles paroles me remettent en joie, et si elle disait la vérité, je serais plus heureux que si j'avais toute la France ; mais elle n'a pas le coeur ni la volonté de me faire plaisir.
 
IV. Jamais homme n'aima si follement, pas même l'écuyer qui mourut à la table. Je me meurs ainsi, mais elle me tue plus lentement, celle qui sait le faire si courtoisement. Car elle ne me frappe ni d'un couteau ni d'une lance, mais avec de belles paroles et un bon accueil. Voilà les armes avec lesquelles elle me combat sans cesse, depuis que je l'ai vue, et cela dure encore.
 
V. [Parmi ses autres armes sont] sa beauté que Dieu lui donna entièrement, sans jamais rien lui en enlever, et sa gaité sans mélange, et son intelligence sincère et parfaite ; tout cela m'arrive, parce qu'elle ne daigne pas m'aimer. Mais de la mer on tire sûrement de l'eau douce ; c'est pourquoi j'ai l'espoir que mon intelligence et mon habileté, autant que ma constance, en feront sortir pour moi la joie, qui seule peut me calmer.
 
VI. Du moins, dame, si vous vous souveniez du riche, qui laissa mourir Lazare devant lui, et de la récompense qui lui échut ensuite, peut-être vous chercheriez la manière de me tirer de mon grand chagrin, car autrement je ne puis connaître le bonheur. Pour moi, dame, puissé-je ne vous posséder jamais et que Dieu ne me possède, si j'étais heureux avec le monde entier sans vous.

 

 

 

 

 

 

 

 

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