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Français
J. Anglade

I. Je ne suis mort ni d'amour ni d'autre mal, mais ma vie ressemble bien à la mort, quand je vois l'objet que j'aime et désire le plus ne me causer que douleur et mal. La mort n'est pas bonne pour moi, et, ce qui m'est encore plus pénible, c'est que bientôt ma dame et moi nous serons vieux. Si elle perd ainsi ma jeunesse et la sienne, je le regretterai pour moi, et cent fois plus pour elle.
 
II. Noble dame, vous pouvez, si vous le voulez, tuer facilement votre homme lige, mais vous vous ferez blâmer par le monde et vous en aurez un péché mortel. Je suis bien votre homme, car je ne m'appartiens nullement ; mais à mauvais seigneur on abandonne son fief ; et un homme puissant qui perd ses vassaux vaut bien peu, comme s'en aperçut Darius, le roi de Perse.
 
III. Malgré moi j'aime de tout mon coeur celle qui ne daigne ni me voir ni m'entendre ; que ferai-je donc, puisque je ne puis m'en séparer et que ni l'indulgence ni la pitié ne me viennent en aide ? Je m'en tiendrai aux habitudes du pèlerin importun, qui mendie de côté et d'autre ; car de la froide neige naît le cristal dont on tire le feu ardent ; les bons [amants] qui patientent arrivent à triompher.
 
IV. Jamais je ne vis conduite si étrange : quand je crois faire ou dire quelque chose qui doive lui plaire, je ne pense à aucun autre travail. Mais toutes mes actions lui paraissent viles et peu sérieuses, et jamais, par pitié ou pour l'amour de Dieu, je ne puis trouver auprès d'elle d'indulgence ; sans conteste elle a tort et se rend coupable envers moi.
 
V. Aussi me suis-je jeté dans l'insouciance, comme le renard qui ne pense qu'à fuir, sans oser se retourner et sans pouvoir se sauver, quand le pourchassent ses mortels ennemis. Je ne sais [à mon mal] d'autre remède que celui du Juif, qui, s'il me fait mal, en fait autant à lui-même ; semblable à celui qui se défend à l'aveuglette, j'ai tout perdu, force et courage.
 
VI. Que faire donc ? Je souffrirai comme le prisonnier, qui doit supporter ce qui lui fait mal, mais je saurais bien marquer ma reconnaissance à qui me ferait du bien comme un loyal ami. Car si je voulais, dame, prendre un fief d'un autre, j'en aurais conquis bientôt plaisir avec honneur. Mais rien sans vous ne peut me plaire et je n'attends que de vous une joie parfaite.
 
VII. J'adresse mon chant au roi céleste, que nous devons tous honorer et écouter ; il est juste que nous allions le servir là-bas où nous conquerrons la vie spirituelle ; car les Sarrasins perfides et cruels lui ont enlevé son royaume et détruit son empire ; ils se sont emparés de la croix et du sépulcre, et cela doit nous faire frémir.
 
VIII. Comte de Poitiers, je me plains de vous à Dieu et Dieu se plaint de même à moi, lui de sa croix et moi de mon argent.
 
IX. Comte de Poitiers, vous et moi nous sommes loués par le reste du monde, vous de bien faire et moi de bien parler.

 

 

 

 

 

 

 

 

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