I. J'avais quitté le chant, par suite de la tristesse et de la douleur que j'ai au sujet du comte mon seigneur ; mais puisque le bon roi le désire, je ferai rapidement une chanson que porteront en Aragon Guillem et sire Blascol Romieus, si la musique leur en parait bonne et facile.
II. Si e chante comme un homme qui y est obligé, puisque mon seigneur le désire, ne tenez pas mon chant pour mauvais : car mon coeur s'est détourné de celle dont je n'eus jamais de récompense et qui me prive de tout espoir ; combien cette séparation m'est pénible, Dieu seul le sait.
III. Je suis trahi et trompé, comme il arrive aux bons serviteurs, car on me tient à folie ce dont je devrais tirer honneur ; j'en attends la même récompense que celui qui sert un félon ; mais si, désormais, je lui appartiens, je m'estime moins qu'un juif.
IV. Je me suis donné à une dame qui vit de joie et d'amour, de mérite et de valeur, où la beauté s'affine comme l'or dans la flamme. Elle accueille mes prières : aussi il me semble que le monde est à moi et que le roi tient de moi ses fiefs.
V. Je suis couronné de joie parfaite plus qu'un empereur, car je me suis enamouré d'une fille de « comtor », et un petit cordon que dame Raimbaude me donne m'est plus précieux que Poitiers, Tours ou Angers ne le sont pour le roi Richard.
VI. Je ne regarde pas comme déshonorant de m'entendre appeler loup, et de me voir poursuivi et chassé par les cris des bergers ; j'aime mieux bois et buissons que je ne fais palais ni maison et j'irai joyeusement vers elle au milieu de la glace, du vent et de la neige.
VII. La Louve dit que je lui appartiens et elle a bien raison de le dire ; car, par ma foi, je lui appartiens plus que je n'appartiens aux autres ou à moi.
VIII. Beau Sembelin, j'aime pour vous Saut et Usson ainsi qu'Alion ; je vous ai vu si peu de temps que j'en suis ici triste et affligé.