I. Pour rente je dois une chanson au roi courtois d'Aragon, car autrement je ne chanterais pas cette année, à cause du chagrin [qui me vient] de la fourberie de ma dame, que Dieu confonde ! Si jamais Amour m'a rendu gai, je le quitte et l'abandonne aujourd'hui et jamais je n'aurais été amoureux, dur coeur, si ce n'était pour vous.
II. Que jamais Dieu ne me pardonne, si jamais il y eut femme si belle et de manières si courtoises ; jamais on ne vit ni on ne verra un être parlant si gentiment : quand un mot lui sort de la bouche et que je l'entends, j'en suis si friand que peu s'en faut que je ne meure de désir, si je ne lui en entends dire au moins deux.
III. Je vous remercie en chantant de m'avoir si noblement secouru dans ce passé ; car autrement je n'aurais pas pu supporter la peine, les pleurs et l'angoisse quand elle me retira son amour, si ce n'était un agréable motif de joie, qui me vient de vous, dame, et qui rend ma vie heureuse.
IV. Pour cette raison je me reconnais bien votre homme-lige, et je veux être désormais tout entier à vos ordres. Je mettrai tout en oeuvre pour dire et faire ce qui vous plaît, afin que votre noble et vrai mérite soit toujours exalté entre les gais et parfaits amants.