I. Quand un homme est au pouvoir d'autrui, il ne peut remplir tous ses désirs ; il lui arrive souvent d'y renoncer, pour faire plaisir à un autre. Puisque je me suis mis au pouvoir d'Amour, j'en supporterai les maux et les biens, les torts et les droits, les dommages et les profits, car la raison me le commande.
II. Car à qui veut plaire au monde il arrive souvent de supporter ce qui lui déplaît en le cachant gentiment, en faisant semblant de ne pas y prêter attention ; puis quand il voit que l'occasion est venue, qu'il ne soit ni lâche ni faible devant celui qui aura commis une faute envers lui, car, dans une cause juste, une petite accusation est nuisible.
III. J'ai tant d'intelligence et de savoir qu'en tout je sais choisir ce qu'il y a de meilleur pour moi ; je sais reconnaître et aimer qui sait m'honorer et me chérir. Je m'en tiens à l'usage des Génois, qui, avec des manières gaies et courtoises, sont aimables envers leurs amis et fiers pour leurs ennemis.
IV. Je veux maintenir mérite et valeur, obéir aux nobles dames, servir la gent courtoise ; quant à la richesse, je n'en ai cure. Cependant si j'avais le pouvoir, il n'y a comte, duc ni marquis qui aimât à faire des libéralités autant que moi et qui se contentât moins que moi de la compagnie de lâches barons.
V. Car celui qui peut et qui ne veut pas être vaillant, pourquoi ne se donne-t-il pas la mort ? Dieu ! pour être une cause d'ennui et de déplaisir, pourquoi la mort ne daigne-t-elle pas le prendre ? Il est beaucoup plus vil qu'un paysan honoré, quand il recueille ses rentes et ses fermages : corps pourri, avec un coeur gâté, il vit détesté de Dieu et des hommes.
VI. Noble dame, je crois voir Dieu quand je contemple votre corps gracieux. Je vous aime et désire tant qu'un grand bonheur devrait m'échoir. Car votre amour m'a conquis, vaincu, enlacé et pris de telle sorte, que, si j'avais l'univers entier, je me regarderais comme pauvre sans vous.
VII. Dame, quand je vous vis rester et qu'il me fallut vous quitter, mes soupirs m'angoissèrent à tel point que je faillis m'évanouir. Ah ! belle, douce et noble créature. Que Dieu et Pitié me protègent auprès de vous ! Gardez-moi, moi et mes chansons, même si cela ennuie le courtois « jaloux ».
VIII. Dame, pour vous j'aime le Narbonnais, Molina et le Savartes, la Castille et le roi Alfonse dont je suis chevalier à cause de vous.
IX. Je reste empereur des Génois, j'ai conquis un fief qui est agréable, beau et bon, et je suis l'ami des trompeurs (?).