I. Dieu soit remercié, car le noble roi est revenu à la santé et à la joie ; aussi je reviens aux chansons gaies et composées sur de beaux sons, que j'avais abandonnées dans ma tristesse ; mais la santé du roi nous a tous relevés et a rajeuni mon coeur et mon amour.
II. Parce que l'arbre est sorti de bonnes racines, le fruit est rare et bon, doux et savoureux. Je reviens amoureux vers les dames ; elles me recherchent tant que je suis la terreur des maris, qui me craignent plus que feu ou lance ; car je choisis où je veux et personne ne peut les (les dames) défendre contre moi.
III. Il est bien juste que je sois hardi, car j'ai pour guide la femme la plus belle qui fût jamais ; avec ses belles manières, ses beaux yeux amoureux ont conquis plus d'un coeur. C'est pourquoi mon esprit est resté avec elle ; et je me sens guéri de toute la tristesse que j'ai eue si longtemps.
IV. La jeunesse est mal traitée et le mérite qui vient de l'honneur est trahi par la faute des barons. Car nous voyons les valets riches et orgueilleux et les courtois bernés. Et les femmes trompeuses qui ont perdu leurs maris règnent honteusement sur leurs amants, en les trompant doublement.
V. Ah ! beau corps gentiment tourné, si plein de bonnes qualités, Dame, je me rends à vous, humble et sans volonté, dompté et plein de désirs, semblable à celui qui est trappe d'amour au coeur, qui me dit de me rendre à vous vaincu ; si vous ne me venez en aide, vous aurez tué en même temps, pour votre honte, la pitié et moi.
VI. Un roi lâche et sans foi détruit un bon royaume, quand il plaint ses dépenses, qu'il regrette les dons des autres et qu'il fuit la compagnie des preux ; et un roi qui vit dans la honte vaut moins qu'un roi enseveli. Mais pour moi les meilleurs me tiennent en estime et la gent courtoise me croit, car je ne mens jamais contre Amour.
VII. Je suis bien défendu contre les lâches, car j'ai pour moi Aragon, Castille et Léon ; et le vaillant roi Alfonse possède des châteaux où l'honneur est noblement servi, honoré et recherché ; aussi les gens de rien, les lâches avares au coeur de vent ne m'intéressent-ils guère.
VIII. Comme le lion est plus hardi que le chevreau, l'ours plus que le boeuf cornu, et le loup plus que le bouc barbu, j'ai plus de hardiesse que tous les lâches.