I. Puisque j'ai ouvert mon riche trésor, j'en tirerai un son gai et nouveau que j'enverrai au delà de Montgibel, au preux marquis de Sardaigne, qui vit avec joie et règne avec sens. Il sait gentiment donner et accueillir, et il accroît sa renommée et son pouvoir. Et mon « cher fils » le comte Henri [de Malte] a détruit tous ses ennemis: il est pour les siens un si ferme appui que tout le monde peut aller et venir avec moins d'effroi (qu'auparavant].
II. Je ne veux pas la supériorité qui vient de l'argent et de l'or, tellement j'ai le coeur joyeux. Quand je rencontre tournoi ou combat, volontiers je déploie mon enseigne ; j'attaque et je tais d'une lance du bois à brûler. Et quand je trouve quelqu'un qui m'attend, vif ou mort il faut qu'il tombe. Car, avec les armes je suis un tant soit peu rude, je n'écoute conseil ni remontrances et les longues exhortations (prières) ne me plaisent pas. Ainsi je vis, ainsi je suis, et j'aime telle dame que je connais.
III. Je regarde comme siens Vertfeuil et Montlaur ; elle a à son service plus de cent châteaux et trois cités sans conteste ; elle a à coeur de maintenir la valeur, car elle règne avec courtoisie ; et si un homme de haut lignage va la voir, elle le traite si bien et lui dit tant de choses aimables qu'au départ il est son ami. Jamais elle ne se plut à la tromperie, jamais elle n'aima ni médisants ni misérables jaloux, mais elle leur fait dire : « Restez là-bas, vous n'avez rien à faire ici. »
IV. Elle a une couleur fraîche avec une chevelure blonde sans s'être jamais servie du pinceau ; mais il lui plaît de garder pour elle Montgaillard et Daurabel. Elle ne vend ni ne met en gage Beaujeu, elle me fait tenir Montamat et Bon Repos pour mieux coucher. Pour mon amour lui plaît la Riche Maison (ou Hostalrichs), et Esquive-Mendiants lui appartient : et ce n'est pas un embarras pour le marquis [de Monferrat ?] s'il me donne Ségur e Clavai et à elle Cardona et Monjai (Monjoie ?).
V. De Foix je veux Laroque et Lavaur, le beau palais et l'agréable prairie et le verger où chantent les oiseaux et J'eus-bien et Mieux-m'en-vienne. Si la comtesse [de Foix] daigne me garder, j'y resterai sûrement, car mes désirs seront accomplis. Je ne veux être ni Louis, ni Manuel, ni Frédéric, ni Aimeri de Narbonne ; car qui possède ce qui lui plaît le plus a ce qu'il y a de mieux dans le monde.
VI. Que Lance aiguë (le marquis Manfredi I Lancia) tienne le Maure (Albert de Malaspina, surnommé le Maure ?) aux os durs et à la peau noire, qu'il ait nuit noire et mauvais couteau, crève-cœur et honte, et courroies dont il puisse s'étrangler. Il employa bien mal sa journée, quand il donna Ceva pour peu d'argent. C'est à lui qu'appartiennent le Velay (?) et le Mont Antique, mauvaises moissons et épis recourbés, creuse-dents et puis lombrics (?) ; il cause de la peine et du dégoût et une cruelle mort le tire de la vie.
VII. Lié à la queue d'un taureau, il devrait être battu sur le marché d'Asti, où il revêtit l'horrible couronne de trahison à laquelle se plaît l'hérétique perfide qui ne fait pas le signe de la croix. Jamais homme ne peut tomber plus bas ni lépreux ne peut moins valoir. Aussi le marquis à qui appartient Salonique (le marquis de Montferrat) lui dit-il : « Pourquoi ne te laisses-tu pas mourir ? » Il est bien plus riche qu'un pic, mais je ne prise rien de ce qu'il dit, la bouche pleine d'horribles crachats.
VIII. Au roi Peire, à qui appartiennent Vich et Barcelone et Montjuich, je mande qu'il mette tous ses efforts à détruire les païens de là-bas, car je détruirai tous ceux d'ici.
IX. Amie, je vous suis si ami qu'aux autres je parais ennemi et je veux être en vous le Phénix, car jamais je n'en aimerai d'autre et en vous je finirai mon amour.