I. Peire Vidal, puisqu'il m'arrive de faire une tenson, ne soyez pas fâché, si je vous demande principalement pour quelle raison vous avez un sens si vénal en maintes affaires qui ne vous donnent pas grand profit, tandis que vous montrez tant de talent et d'intelligence en poésie ; et celui qui, déjà vieux, espère ainsi et qu a ainsi passé sa jeunesse, celui-là a moins de bien que s'il n'était jamais né.
II. Blacatz, je ne vous regarde pas comme un homme de bon sens, car jamais vous n'avez mis en discussion une question si extraordinaire ; moi, j'ai en toutes choses du bon sens, fin et naturel, auquel on me reconnaît bien ; j'ai consacré mon amour et ma jeunesse à la meilleure femme et à la plus méritante ; je ne veux pas perdre le gain ni la récompense, car celui qui se rebute est peu courtois et d'un mauvais naturel.
III. Peire Vidal, je ne voudrais jamais tenir votre raisonnement à ma dame, qui a tant de mérite ; je veux la servir tous les jours, également, et il me plaît qu'elle m'accorde une récompense ; je vous laisse la longue attente sans la jouissance ; moi, c'est la jouissance que je veux ; car une longue attente sans joie est, sachez-le, une joie perdue, que jamais on n'a obtenue.
IV. Blacatz, je ne suis pas fait comme vous autres, qui vous souciez peu d'amour. Je veux faire une grande journée de marche pour arriver à une bonne maison et un long service pour une agréable récompense. Il n'est pas amant parfait, celui qui change souvent, et ce n'est pas une noble dame, celle qui le lui permet ; ce n'est pas là de l'amour, c'est pure tromperie, si vous demandez aujourd'hui et si demain vous changez.