I. Je ferai un « vers » sur le pur néant : il n'y sera question ni de moi ni d'autres gens, ni d'amour ni de noblesse, ni d'autre chose ; je viens de le composer en dormant, sur un cheval.
II. Je ne sais sous quelle étoile je suis né : je ne suis ni joyeux ni triste, ni revêche ni familier, et je n'en puis mais ; car tel je fus doué par une fée, une nuit, sur une haute montagne.
III. Je ne sais si je dors ou si je veille, à moins qu'on ne me le dise. Peu s'en faut que mon cœur n'éclate d'un chagrin mortel : mais je n'en fais pas plus de cas que d'une souris, par saint Martial !
IV. Je suis malade et je crois que je vais mourir, et je n'en sais rien (de ma maladie) que ce qu'on m'en dit ; je chercherai un médecin à ma fantaisie, et je ne sais qui [ce sera] : il sera bon s'il peut me guérir, mauvais, si mon mal s'aggrave.
V. J'ai une amie, mais je ne sais qui elle est, car jamais, de par ma foi, je ne la vis ; jamais elle n'a fait chose qui m'agrée ou me déplaise, et il ne m'en chaut ; car jamais il n'y eut ni Normand ni Français dans ma maison.
VI. Jamais je ne l'ai vue et je l'aime fort, jamais elle ne m'a fait droit ni tort : quand je ne la vois pas, je me passe aisément d'elle, car je n'estime pas cela la valeur d'un coq ; j'en sais une, en effet, plus aimable et plus belle et qui vaut davantage.
VII. Mon « vers » est fait, je ne sais sur quoi : je vais l'envoyer à celui qui, par un autre, l'enverra là-bas vers l'Anjou...