I. Puisque le désir m'a pris de chanter, je ferai un « vers » [sur un sujet] qui m'attriste : jamais plus je ne serai servant d'amour ni en Poitou ni en Limousin.
II. Je vais partir pour l'exil : en grand'peur, en grand péril, en guerre je laisserai mon fils, et ses voisins lui feront du mal.
III. Qu'il m'est pénible de la quitter, la seigneurie de Poitiers, Je laisse à la garde de Foucon d'Angers et la terre et son cousin.
IV. Si Foucon d'Angers ne le secourt pas, ainsi que le roi de qui je tiens mes domaines, il aura tout à craindre d'un grand nombre de gens, des félons Gascons et Angevins.
V. S'il n'est passage et preux, quand je me serai éloigné de vous, bien vite ils l'auront mis à bas, car ils le verront jeune et faible.
VI. Je crie merci à mon prochain : si jamais je lui ai fait tort, qu'il me pardonne : c'est aussi la prière que j'adresse à Jésus, roi du ciel, et en roman et en latin.
VII. J'ai été ami de prouesse et de joie ; mais maintenant je dois me séparer de l'une et de l'autre pour m'en aller à celui auprès de qui tous les pécheurs trouvent la paix.
VIII. J'ai été grandement jovial et gai ; mais Notre-Seigneur ne veut plus qu'il en soit ainsi : maintenant je ne puis plus supporter le fardeau, tant je suis proche de la fin.
IX. J'ai laissé tout ce qui me charmait, la vie chevaleresque et pompeuse : puisqu'il plaît à Dieu, je me résigne, et je le prie de me retenir parmi les siens.
X. Je prie tous mes amis qu'après ma mort ils viennent, tous, tem'honorent grandement, car j'ai connu joie et liesse, et loin et près et dans ma demeure.
XI. Mais aujourd'hui je renonce à joie et liesse : je quitte le vair et le gris et les précieuses fourrures.