I.—Puisque nous voyons les bois et les bocages fleuris, et que les prés sont jaunes verts et vermeils, et puisque nous entendons le chant, le refrain et le tapage des oisillons, il convient bien que que je fabrique un chant nouveau en ce beau doux temps d'avril; et quoique les mots soient excellents, ils seront faciles à entendre pour tout le monde.
II.—Quoique je ne sache guère où déployer mon sens subtil, ferme et naturel, cependant je n'appelle pas mon savoir commun, quoiqu'encore il n'ait pas paru grand; car, comme si je trouvais écrits les beaux mots, je les accouple si bien qu'il ne me semble pas que jamais je trouve un poète semblable qui en chantant formât de meilleures paroles.
III.—Mais un gentil corps, noble et aimé—tel que jamais aussi beau ne se vit dans un miroir—pour lequel je pense, je frémis et je veille, m'a tellement plu en mon coeur que je ne m'embarrasse pas de servir d'autre objet que ma dame douce et bienveillante; c'est pourquoi, sans tromperie, je m'enracine en son amour, qui me maintient dans le désir.
IV.—Jamais homme ne fit de progrès en amour parfait comme j'en fais à propos de ma dame; et je m'affine à son service; car elle m'a pris avec un petit fil et je crois qu'en peu de temps je me dessècherai; mais je ne crains pas du tout ni les bavards ni leurs cris, tellement j'espère son loyal secours; et s'il lui plaît de me conseiller, je serai noblement orné de joie, parfaite.
V.—Mon esprit est toujours là où elle est; cela ne m'étonne pas, car aussi loin que frappe le rayon du soleil il n'y en a pas d'autre qui possède autant de bonnes qualités accomplies; et il ne semble pas qu'aucune autre puisse l'égaler en beauté, même si les autres étaient au nombre de mille; aussi je prie ma dame qu'elle ne m'avilisse pas, si mon coeur veut plus qu'il n'aurait dû.
VI.—Pour ma dame je maigris et je me dessèche, quand je ne vois pas son gentil corps noblement formé; et je serais mort de froid jusqu'an moment où mon coeur se réveilla.