I.—Je suis semblable à l'enfant qui a été élevé tout jeune dans une noble cour et y a été honoré de son seigneur; puis, devenu grand, il la quitte et en cherche une meilleure; il ne peut la trouver et se croit trompé; il veut s'en revenir, mais il n'a pas assez de hardiesse; je suis semblable à lui, car je quittai follement celle que je remercierai de s'en venger, pourvu qu'elle veuille me supporter près d'elle; je ne désire pas autre chose.
II.—Elle peut bien s'en venger, de moi, car j'étais devenu fou. Mais un homme fou, disent les auteurs, ne sera pas condamné pour le mal qu'il fait et il ne sera pas juste de le punir, tant que la folie le tient bien; mais quand la folie lui aura passé, il sera condamné, s'il commet une faute, ou s'il en avait commis quelqu'une auparavant. Et si jamais j'en ai commis une, je vous le dis en vérité, et elle sait que je ne mens pas, qu'elle me fasse languir éternellement.
III.—Elle peut bien le faire et béni sera le mal; je supporterai silencieusement chagrin, peine et douleur et tout cela me semblerait bien doux; mais qu'elle remarque bien qu'il ne convient pas et qu'il n'est pas avenant pour sa bonne renommée en fleur de prendre vengeance de tous les méfaits; pardon vaut mieux et mérite mieux la louange et celui qui le reçoit en devient meilleur pour servir.
IV.—Je serais meilleur pour servir; Pitié et Amour m'auraient guéri, si ma dame inclinait son orgueil au point de m'envoyer ici des «saluts» écrits en forme de lettre; mais je suis trop fou, quand je lui mande cette pensée de m'adresser ici (ses saluts); qu'elle supporte seulement que j'aille vers elle, mains jointes, obéir à tous ses ordres, qu'il lui plaise de me faire vivre ou de me faire mourir.
V.—Je ne fus ni tué ni trahi par son ordre, [mais je fut pris de tristesse depuis le jour où] je me séparai de celle qui est la fleur du monde et qui m'avait élevé. Après l'avoir quittée, je fus dans une telle tristesse que je serais mort, si ce n'était la joie qui espère en la pitié, parce qu'elle me dit à mon départ en pleurant: «Que Dieu te laisse revenir!».