I. Je chanterais avec une joie très grande, si j'avais un sujet de chanson; mais je ne suis aucunement content de l'amour, et je n'oserais m'en plaindre, tant je crains ma douce amie. Et donc, de quoi chanterai-je, puisque je n'en dirai ni du mal ni du bien?
II. · Parle Christ! Je ne le sais pas encore, à moins que je n'en(1) tire un sujet; car la plainte ne me convient point. Et la louange? - Comment en ferais-je des louanges, si elle ne m'en fournit le juste motif? J'ai beau dire: je sais bien que je ne tire aucun profit de l'amour.
III. Au contraire: plus j'implore la pitié de ma dame, plus elle est froide et cruelle envers moi. Et je sais bien pourquoi mon cœur supporte la sé paration (et je ne dis pas une folie): c'est qu'un an [d'attente] a moins de poids qu'un jour [de bonheur une fois. la séparation finie]. C'est pourquoi je me suis mis à attendre si jamais je trouverai ce jour de bonheur.
IV. Et je ne m'en repentirais jamais, si Amour ne m'obsédait pas tant.(2) Pourquoi, alors, est-ce que je ne m'arrête pas? Car fou est celui qui ne s'amende. - A quoi bon m'amender maintenant? Je l'aurai ou je mourrai, mais je ne renoncerai jamais à elle.
V. Chaque jour se perfectionne celle qui me retient auprès d'elle. Et par quoi me retient-elle? - Par son aimable compagnie. - Mais oui, ce pendant j'en voudrais davantage, cela ne me suffit pas. - Et pourquoi
en veux-je davantage? - Parce qu'elle se montre agréable envers moi.
VI. Je prie Dieu et la sainte Marie, où que soit Dame Béatrice de Nar bonne, qu'Ils(3) lui donnent la joie et qu'Ils accroissent sa noble valeur.
(1) = de la dame ou de l'amour.
(2) «n'était pas tant avec moi, ne me fréquentait pas tant».
(3) «qu'Il ».