I. Si je savais qu'une chanson ou une mélodie pût me procurer un avantage d'amour auprès de ma dame, je désirerais beaucoup plus en faire une que je n'en ai envie [maintenant]. Je ne veux pourtant pas m'en abstenir: j'aime mieux chanter ma dame en vain que de conquérir l'amour d'une autre.
II. De celle-ci je suis un fidèle amant, et je ne serai ni faux ni trompeur envers elle; car il n'existe sous le ciel aucune dame qui ait de plus belles manières - pour quiconque a reçu de Dieu ce don de discerner les créatures par lequel il lui est facile de choisir: c'est elle que je supplie, et j'abandonne toutes les autres.
III. Je sais bien que je ne perdrai jamais rien à l'aimer plus qu'aucun être qui fût jamais; car elle est si douée d'esprit et de mérite qu'elle me ré compensera entièrement. Je ne puis, en effet, manquer d'obtenir une belle récompense, puisqu'avec un sourire elle pourrait me rendre heureux, même si j'étais fait prisonnier en Terre-Sainte.
IV. Un petit bien est grand pour moi, quand il vient d'elle; je le reçois avec un grand bonheur.(1) Et s'il en résulte pour moi de graves tourments et des périls, cela ne me paraît pas pénible. Et comment le sais-je, alors? - C'est qu'on me le dit: j'ai des amis qui me jurent que c'est une peine, cela qui me paraît si léger.
V. Elle est si courtoise et parfaite et distinguée, et elle a de si belles manières que j'en suis resté tout rêveur pendant longtemps, et mon cœur en soupirait; car personne ne saurait mentir qui voudrait la louer, ni dire la vérité qui voudrait la blâmer.
VI. Si jamais j'ai été d'humeur sombre et engourdi, abattu et misérable, à présent je suis gai et joyeux, et je m'en vais vers elle pour me mettre à ses ordres. Si elle veut m'exaucer, que Dieu ne me laisse pas m'éloigner d'elle à telle distance qu'elle ne me puisse trouver sans trop me chercher.
VII. C'est pourquoi je perdrai pour elle le roi Ferdinand et les cours et les dons et les barons, [pour elle et] non pour richesse ni pour mangons ni pour chevaux ni pour besants: car je ne désire rien autant que je la désire. Personne ne peut m'en détourner, s'il ne me fait pendre ou ligoter.
VIII. A la fin de cette chanson, je prie ma dame - puisque je suis son homme-lige, qu'elle peut vendre ou donner - qu'elle veuille bien penser à Guilhem Adémar!
(1) «quand je le reçois, j'en suis tout heureux. »