I. — Je ferai une chanson avant l'arrivée de la mauvaise saison, car nous partons tous ensemble vers le Toulousain. Je dis adieu à tous ceux que je laisse ici : je pars en pleurant, car j'aime beaucoup les dames. Dieu garde tout le pays, de Salses jusqu'à Tremp, et surtout la contrée où ma dame demeure.
II. — Je l'aime d'autant plus, cette contrée, que je sais que ma dame y est. Elle est ma joie et elle est tout ce que je possède. Je n'aime rien au monde sauf celle que j'ai toujours aimée, et jamais, tant que dureront mes jours, je n'en aimerai une autre. Je sais bien que je l'aimerai jusqu'à ma mort, puisqu'il lui plaît qu'il en soit ainsi.
III. — Lorsqu'il lui plaît de me faire du tort ou de m'opposer son orgueil, je le vois bien, mais je ne veux pas en prendre conscience. Mais j'ai conscience de tout ce qu'elle me fait de bien : je lui rends grâce et du bien et du mal, quelque peine que ce mal me fasse. Même quand elle me fait le pire affront, dès que ses yeux me regardent, j'ai tant de joie que j'oublie tout le mal.
IV. — Et cependant le désir que j'ai pour elle ne me procure aucune joie, car il m'opprime si fortement que je n'ai plus pouvoir sur moi-même, sauf quand je suis tout seul, en songeant à elle dans mon cœur qui la voit. Cette douce pensée me réconforte et me réjouit et, dans ces rêveries, j'ai passé bien de belles journées.
V. — Madame, vous êtes riche en bonne réputation et, en vérité, vous êtes la plus belle qui soit. C'est pourquoi je supporte de bon gré tous les maux que je souffre pour vous, tout seul dans ma demeure. Je vis dans la douleur et vous, dans la paix. En cela, il me semble, vous avez quelque peu tort.
VI. — Un médisant fait contre moi des intrigues pires que la mort. Je ne m'en plains cependant pas, car j'y trouve beaucoup de réconfort. Cela ne me fait nul dommage, mais lui, il agit comme un vilain. Qu'il ne s'en lasse pas, car cela m'ennuierait fort, puisque, malgré lui, j'aurai de la joie et du plaisir, grâce à ma dame, dont j'ai baisé les mains.