I. — L’autre jour, je chevauchais sur mon palefroi, par un temps clair et serein, et je vis devant moi une bergère au teint frais et jeune qui chantait fort gracieusement et disait en soupirant : « Hélas ! bien tristement vit celui qui perd sa joie ! »
II. — Je me dirigeai aussitôt vers l’endroit où elle chantait, et elle se leva, par sa grâce, montrant pour moi beaucoup d’empressement, la noble et belle créature, et moi, sur-le-champ, je mis pied à terre pour honorer celle qui me fit si bel accueil.
III. — « Charmante jeune fille, dis-je sans hésiter, je vous prie de me dire franchement, si cela vous agrée, quelle était la chanson que vous disiez à l’instant, quand je vins ici ; car jamais, je vous l’assure, je n’entendis bergère chanter si bien. »
IV. — « Seigneur, je tenais naguère soumis entièrement à ma volonté celui qui me fait aujourd’hui souffrir, parce que je ne l’ai plus, mais qu’il m’oublie et s’éloigne de moi pour une autre. Voilà pourquoi je gémis ; et je chante ainsi pour oublier la douleur qui me tue. »
V. — « Jeune fille, sans mentir, je vous assure qu’une déloyale que j’aimais beaucoup, m’a fait un tort identique à celui que vous inflige celui qui vous oublie. Elle m’oublie maintenant, à son grand tort, pour un autre que je voudrais avoir tué. »
VI. — « Seigneur, vous trouvez consolation du forfait qu’a commis si lâchement envers vous cette félonne au cœur frivole ; disposez donc de moi, car je vous aime pour toute ma vie, si vous y consentez ; changeons donc en joie et en gaieté le chagrin que nous avons eu. »
VII. — « Douce et chère créature, mon désir est exaucé, si vous y consentez ; vous me faites à bon port arriver, joyeux et libre de tout dommage. »
VIII. — « Seigneur, sans mentir, votre amour m’a délivrée et guérie si bien que je ne garde le souvenir d’aucun mal tant vous avez détruit d’une manière aimable tout mon ressentiment. »
