I. — Seigneur Rainaud, vous qui vous faites amoureux, répondez-moi suivant votre conscience : de deux amants qui aiment loyalement, lequel doit être selon la raison le plus joyeux : celui qui après avoir couché une nuit avec son amie, et en avoir obtenu tout ce qu’il voulait, revient de chez elle, ou celui qui va chez elle, pensant en obtenir ce qui se fait au lit.
II. — Gui d’Ussel, il ne serait pas raisonnable que je répondisse à ce partimen ; car je ne fais cas ni du retour, ni de l’aller ; pourtant je préfère l’aller ; car je ne sais, pour ce qui est de l’amant qui se rendrait [chez la dame], comment il pourrait avoir de la joie, s’il ne l’avait alors ; et je ne vois pas comment l’autre pourrait être joyeux, quand il a quitté celle qui le charme plus que tout.
III. — Seigneur Rainaud, une telle séparation est agréable, d’où l'on tire mérite, honneur et joie, et grâce à laquelle on sait qu’on est loyalement aimé ; souvent on est désappointé en allant chez sa dame ; car souvent en cours de route la jalousie, un médisant ou un accident vous en éloigneront ; j’estime donc plus le bonheur que j’ai déjà obtenu que celui dont j’ignore si je le connaîtrai.
IV. — Par Dieu ! Gui, celui qui va chez sa dame, les douces espérances qu’il a, devraient bien le réjouir ; mais il craint tellement d’y découvrir quelque frayeur, que sa joie n’est pas aussi éclatante ; car celui qui a joie de son amour, s’il en désire davantage, éprouve, sans aucun doute, un ennui plus grand. Pourquoi faites-vous plus joyeux celui qui quitte son amie que celui qui va chez elle ?