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Français
Jean Audiau

I. — Elias, je veux vous entendre dire, puisque vous vous prétendez savant en amour, ce qu’il serait plus facile de supporter pour un amant sincère, qui sans cesse a mis tout son cœur et toute son intelligence à avoir une amie : si, quand il l’a enfin, elle mourait, ou si elle le délaissait pour un autre, dont le choix ne lui ferait pas tant d’honneur ?
 
II. — Cousin, il m’est facile de choisir, à moi qui n’ai pas le cœur infidèle. Plutôt que de laisser mourir ma dame, je lui permets de commettre quelque petite faute ; j’aimerais mieux lui en tolérer cent, puisque je l’aimerais d’un cœur fidèle ; car je la recouvrerais peut-être. Mais, si je la voyais mourir, je ne lui survivrais pas longtemps.
 
III. — Et vous m’avez proposé un sujet dont je ne peux m’écarter sans regret ; mais je vous ferai éprouver de la joie, quoi que vous choisissiez de ma tenson, et je verrai si vous savez choisir en ce qui concerne ce nouveau sujet : que vous ayez dame bonne et belle, un jour d’été ou une nuit d’hiver ?
 
IV. — Vous savez mal choisir et faire un partimen, Elias, et vous le montrez bien ; car vous voudriez commettre une telle faute ; mais moi, je redoute tellement la tromperie que je souhaite plutôt, et qu’il me plaît davantage, de la voir mourir que me tromper ; et je crois qu’il lui vaudrait mieux mourir que si la honte nous tuait moralement, elle et moi.
 
V. — Et je choisis l’aimable saison où j’entends chanter les oiselets, et la clarté du jour, pour doubler ma joie en regardant son beau visage ; et je vous laisse, vous qui voulez dormir la nuit avec la vieille, celle qui ne me semble pas pucelle, et qu’aimer en plein jour serait l’enfer [tant elle est laide].
 
VI. — Il ne convient pas qu’un amant fidèle s’irrite, cousin, et j’ai trouvé, dans mes lectures, qu’on peut guérir d’une faute, mais qu’à mort il n’est point de remède ! Vous avez donc peu d’esprit, votre clergie ne vous sert bien peu en l’occurrence ; car le plus sage s’écarte du droit chemin, et c’est pourquoi je m’humilie envers elle, quoiqu’elle commette une faute.
 
VII. — Et je veux, dans une chambre ou dans une maison, être toute la nuit en compagnie de ma dame, à la tenir et à l’étreindre ; et je n’ai que faire du chant des oiseaux, car, en aucune manière je ne pourrais les entendre ; car celui que guide amour véritable ignore les oiseaux qui chantent, ou bien plutôt il considère leur joie comme une raillerie à son égard.
 
VIII. — Elias, ce que je vous entends dire, je sais que maintenant vous n’en faites nul cas ; vous êtes bien doux, puisque vous savez supporter qu’une dame vous laisse pour moins valeureux que vous ; quant à moi, j’aime d’après une convention telle que je ne veux pas que mon amie m’abandonne ; j’aimerais mieux la voir mourir, si elle le faisait, car elle veut sa mort et la mienne, quand elle fait ce qui ne lui fait point honneur.
 
IX. — Et s’il vous est plus agréable d’avoir votre dame la nuit qu’à la clarté du jour, moi je n’ai de joie qu’à la regarder ; et pour que vous ne me contredisiez pas, que dame Marie rende son arrêt, elle en qui joie et mérite se renouvellent, et elle aura raison si elle en appelle à la belle Dame Béatrice de Tiern.
 
X. — Elias, si votre amie vous trahit la nuit et vous trompe, vous l’aimez par besoin d’argent.
 
XI. — Pauvre clerc, la cervelle vous tremble bien ; pour une vieille coquine, vous allez, agité comme un navire sans gouvernail.

 

 

 

 

 

 

 

 

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