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Français
Jean Audiau

I. — Elias, de deux amoureux, dites-moi quel est celui qui aime le plus : l’un ne peut en aucune manière s’empêcher de parler souvent de sa dame avec n’importe qui ; l’autre n’en parle à qui que ce soit, mais en son cœur, nuit et jour, il cherche, pensif, combien il pourrait la servir à son gré : choisissez maintenant le plus énamouré.
 
II. — Bernard, l’amour tourmente davantage l’ami qui n’a nul réconfort si ses paroles ne le consolent un peu de celle qu’il aime plus cordialement, encore quand il peut en parler d’une manière gracieuse, que le rêveur qui ne ferait que penser ; celui-ci peut aimer ; mais il n’y paraîtrait pas, car lorsqu’une chose plaît on en parle sans cesse, tandis qu’on n’en dit mot, si elle n’éveille pas de désir.
 
III. — Elias, la timidité et la discrétion ont fait la fortune de maints amis sincères, et le seul fait d’en parler a détruit bien des joies ; celui-là donc, me semble-t-il, aime mieux et plus sincèrement qui jouit discrètement de sa joie ; car vous savez bien que rien ne lui plairait autant que la possibilité de parler d’elle sans préjudice ; mais il aime tellement, — et c’est pour cela qu’il a peur de commettre une faute, — que l’amour ne lui laisse pas l’audace de parler.
 
IV. — Bernard, si votre défense a visé à faire de ce qui est raisonnable un tort, je vous ai laissé le pis pour le mieux ; car, à ce qu’il paraît, l’ami qui élève sa dame, parlant d’elle où cela lui paraît convenable, aime beaucoup mieux ; quant au rêveur, il semble ne pas savoir que dire ; car, en droit d’amour on doit dire du bien de sa dame ; c’est pourquoi j’estime davantage celui qui parle joliment de sa dame que celui qui y rêve longtemps.
 
V. — Elias, c’est un désir sincère et solide qui inspire à l’amoureux pensif cette frayeur, et l’amour l’a si fortement entouré de ses liens qu’il ne lui laisse dire ni bien ni mal de sa dame ; car il arrive assez souvent que ce qu’on dit pour le bien se change en sottise. Et en amour une imprudence fait plus de tort que ne peut en effacer un grand acte de bon sens. Voilà pourquoi l’amant fidèle sert [sa dame] et s’abstient de parler.
 
VI. — Bernard, c’est un bien grand plaisir pour lui que de pouvoir dire, en ce qui concerne celle qui lui a ravi son cœur, toute sa volonté à l’honneur de sa dame et de lui-même, et il semble bien plus que l’amour le pousse, s’il honore sa dame et en dit toujours du bien, que si, pensif, il s’abstenait de parler ; car une pensée qui ne se traduit ni par une œuvre ni par des paroles a peu de valeur partout, et moins encore en amour.

 

 

 

 

 

 

 

 

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