I - Je suis tombé de malheur en misère et je vais là où m’entraîne mon cœur, et jamais je ne me délivrerai de mon fardeau. En effet, j’ai été lié d’une chaîne dont aucun maillon ne cède, car m’a attiré avec un regard de côté une gaie et fraîche Hélène. J’ai observé un long carême, mais désormais j’en suis arrivé au Jeudi Saint.
II - Ses manières attirent si bien l’amour que je mourrai si elle ne me gratifie pas d’un doux baiser. Mais je m’emporte en un excès d’orgueil ! De toute beauté terrestre, le prix revient aux trois de Turenne, j’en ai fait l’épreuve, mais elle les surpasse en valeur autant que l’or surpasse le sable ; aussi je ne veux posséder ni Ravenne ni Édesse, s’il me faut renoncer à ce qu’elle me garde auprès d’elle.
III - Sa joyeuse, jeune, gracieuse et aimable personne ne trompe pas sur la beauté et n’en possède pas que l’apparence : elle embellit, si on la déshabille. Et plus on lui ôterait de vêtements, plus elle inspirerait de désir, car sa gorge change la nuit en jour, et, si on la voyait plus bas, tout l’univers en deviendrait plus beau.
IV - Donc, il convient bien que l’Amour me tue à cause de la plus belle qui soit au monde, et cela inutilement. En effet, quand je contemple ses traits, je comprends que jamais elle ne sera à moi, car elle pourrait, si elle le voulait, choisir parmi les châtelains ou les puissants barons ceux qui ont le plus haut mérite : en elle se trouve la souveraineté du mérite, de la courtoisie, des présents gracieux et des actions glorieuses.
V - Jamais cour ne sera parfaite si l’on n’y plaisante ni rit : une cour sans libéralité n’est qu’un parc de barons. Et sans faute m’auraient tué l’ennui et la grossièreté d’Argentan, mais l’aimable et noble personne, le doux visage plein d’indulgence, l’agréable compagnie et les réparties de la Saxonne me protégeaient.
