I - Si avril, les feuilles, les fleurs, les belles matinées et les claires soirées ne viennent pas me réjouir d’une riche joie que j’espère, et si l’amour, les rossignolets que j’entends chanter, la nouvelle saison, verte et agréable, qui nous apporte joies et douceurs, et le joli printemps fleuri ne rendent pas ma dame plus audacieuse et ne diminuent pas sa peur, tard me viendra la jouissance d’elle.
II - Madame, si j’ai cherché du secours auprès d’une autre, ce n’était pas pour de bon ; et me voici à vos ordres, moi, mes chansons et mes tours ; je prends congé de la demeure où je fus si gracieusement accueilli : la joie, l’esprit et le mérite y naissent. Et celui qui soutient les proscrits, en son propre honneur, a annulé les engagements, dès lors qu’une bonne paix est conclue.
III - J’aime à vous blâmer, puissants seigneurs, car vous pensez avoir tant de prix que, sans faire de libéralités, par la crainte que vous inspirez, vous voudriez qu’on vous loue et qu’on n’ose pas vous adresser de reproches quand l’un de vous agit grossièrement. Mais cela semblerait de la peur si je défendais de reproche comte ou vicomte, duc ou roi. Agissez plutôt si noblement que s’attache à vous une bonne renommée !
IV - Certains sont guerriers : ils prennent plaisir à faire du mal et ils ne peuvent jamais se passer de gens pour servir leurs machines de siège, tant ils aiment lancer et tirer. Je les vois sans cesse équipés comme Vivien de Tours. Aussi n’ai-je pas de sympathie pour eux, car un puissant seigneur n’est jamais parvenu à un mérite élevé sans avoir pour garants la joie, la jeunesse et la valeur.
V - D’autres sont bâtisseurs, puissants seigneurs au grand pouvoir qui savent gouverner leurs terres : ils construisent des portails et des tours d’angle avec de la chaux, du sable et des pierres de taille, ils construisent des tours, des voûtes et des escaliers tournants ; et je les vois grands mangeurs d’argent, ce qui leur fait réduire d’autant leurs libéralités ; et leur mérite ne grandit certes pas, car un tel comportement ne reçoit pas l’estime de la bonne société.
VI - D’autres sont chasseurs pour maintenir la coutume : ils se donnent la mine de puissants seigneurs, car ils aiment les chiens, les autours, le cor, le tambour et les aboiements ; et leur mérite est si affaibli, leur valeur si réduite et leur pouvoir si amorti que personne, à l’exception des bêtes ou des poissons, ne leur obéit ni n’observe leurs ordres.
VII - Pour les puissants seigneurs amateurs de tournois, même s’ils dissipent leurs biens, pas un seul ne peut plaire à mon cœur, tant je les trouve fourbes. Le puissant seigneur qui suit les tournois organisés pour en tirer de l’argent, pour faire prisonnier ses vavasseurs, ne fait montre ni d’honneur ni de courage. Mais sa ceinture ne le serre pas, pourvu que l’argent s’en aille avec lui, même si on le critique par la suite.
VIII- Je veux que les puissants seigneurs aient des chevaliers en s’en faisant aimer et qu’ils sachent les retenir en leur faisant du bien et en leur donnant des terres, qu’on ne leur voie jamais commettre de torts et qu’ils soient nobles, courtois, polis, libéraux et généreux, car c’est ainsi qu’a été établi le mérite : on doit faire la guerre et livrer des combats et le Carême et l’Avent doivent enrichir les soudoyers.
E - Monseigneur Mesure, la joie qui m’est échue est telle que j’en possède plus que si j’étais roi : le fiel mêlé à l’absinthe est devenu pour moi du piment.
E’ - Papiol, si tu en as l’audace, prends ma chanson et va-t’en avec elle-même auprès du seigneur Oui-et-Non, car je lui fais présent de bien des paroles cuisantes.