I - Si tous les chagrins, les pleurs, les tourments, les douleurs, les pertes et les misères qu’on ait jamais essuyés dans ce monde de souffrance étaient réunis, tous sembleraient de peu de poids comparés à la mort du jeune roi anglais ; le mérite et la jeunesse en restent douloureux, mornes, assombris, obscurcis, endeuillés, privés de toute joie, accablés de tristesse et de peine.
II - Malheureux, tristes et accablés de tourment sont restés les courtois mercenaires, les troubadours et les jongleurs avenants : ils ont trouvé en la mort un ennemi trop mortel qui leur a enlevé le jeune roi anglais à côté de qui les plus généreux semblaient avares. Jamais il n’y aura – et ne croyez pas qu’il y en ait jamais eu ! –, comparés à ce chagrin, de pleurs ni de peine.
III - Funeste mort, pleine de tourment, tu peux te vanter d’avoir enlevé du monde le meilleur chevalier qui fût jamais dans aucune nation, car il n’est rien de ce qu’exige le mérite que n’ait pas totalement possédé le jeune roi anglais. Et mieux aurait valu, si ces propos plaisaient à Dieu, qu’il vécût, lui, plutôt que bien d’autres, fâcheux qui n’ont jamais causé aux gens de mérite que chagrin et peine.
IV - Si de ce monde débile, plein de tourment, l’amour s’en va, je tiens sa joie pour mensongère, car il n’y a rien qui ne s’y change en douleur cuisante ; chaque jour vous verrez qu’aujourd’hui vaut moins qu’hier. Que chacun prenne pour exemple le jeune roi anglais, c’était au monde le plus valeureux des hommes de mérite : maintenant s’en est allée son aimable et gracieuse personne, causant douleur et affliction et peine.
V - Celui qui a bien voulu, à cause de notre tourment, venir sur terre, nous a tirés du malheur et a reçu la mort pour notre salut, en tant que seigneur plein de bonté et juste, je l’implore de pardonner, s’il lui plaît, au jeune roi anglais, en véritable pardon qu’il est, de le faire demeurer avec de glorieux compagnons là où il n’y a jamais eu de chagrin ni de mal ni de peine.