I - Monseigneur le comte, vous méritez qu’on vous blâme sans faute, car vous n’avez pas osé —alors que c’était sa volonté— aller parler à la dame. Et, selon la règle de Catalogne, moi, j’ai honte pour vous, àl’idée que vous l’avez laissé attendre en vain.
II - Un amant accompli ne devrait pas tarder si lui arrivait un message, il devrait au contraire mettre son soin à partir et à prendre la route, puiqu’il ne sait pas ce qui préoccupe sa dame, ce dont elle a besoin ; peut-être a-t-elle envie de faire l’amour, aussi ne doit-il pas perdre de temps.
III - Et lorsque vous avez vu votre jongleur qui venait de sa part, vous n’auriez pas dû rester en place, même si l’on vous avait donné la Normandie. Si vous aviez réellement envie de partir, vous n’auriez dû craindre aucun danger entre la Loire et la Dordogne et cela n’aurait pas dû vous venir à l’esprit.
IV - Mais vous pouvez apporter maintenant la preuve que je disais vérité : un puissant seigneur ne mérite pas l’amour. Ils ont tant de préoccupations que la joie d’amour les fuit. Aussi ne voudrais-je pas posséder la Bourgogne en sacrifiant la crainte et le secret.
V - Aussi je ne voudrais certes pas être un grand seigneur ni posséder de grandes richesses, si l’on pouvait alors m’accuser de grossièreté. Je préfère rire et plaisanter avec ma dame, pourvu qu’elle m’y convie, plutôt que de gouverner la Gascogne ou la Bretagne.
VI - J’adresse ma chanson à Aimar, qui pourrait en apprendre ce que demande son honneur, lui que notre seigneur pourrait mettre en pièces. Celui-ci sait si bien courtiser sa petite Lombardie que, loin de changer de sentiments ou de courber la tête à cause des menaces, il redouble de soins pour Limoges et la fait enfermer de plus près.
E - Si le comte Geoffroy ne se tient pas à l’écart, il aura le Poitou et la Gascogne, bien qu’il ne sache pas faire la cour aux dames.