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Français
Gérard Gouiran

I - Quand je vois par les jardins déployer les oriflammes de soie jaunes, indigo et bleus, le hennissement des chevaux et les mélodies des jongleurs qui vont de tente en pavillon en jouant de la vielle, les trompettes, les cors et les clairons au son aigu m’emplissent de douceur. C’est pourquoi je veux composer un sirventés tel que l’entende le roi Richard.
 
II - Je veux me réconcilier et faire la paix avec le roi d’Aragon. Mais il s’est montré trop grossier et trop rustre quand il est monté ici pour guerroyer ; il est donc juste que je lui fasse la leçon à ce sujet. J’en parle pour le corriger ; j’ai de la peine à le voir se conduire comme un fou et je veux qu’il reçoive de moi son éducation.
 
III - Avec moi, tous veulent le mettre en accusation, car un de ses vassaux m’a conté la mauvaise réputation que lui a value Castellot, quand il en a fait expulser Espagnol. Et je ne crois pas qu’il puisse se défendre face à lui, si celui-ci ose le mettre à l’épreuve là-dessus. Et puisqu’il est entré en invité, il a honteusement gagné peu de revenu.
 
IV - Désormais, je ne peux rien lui dissimuler, au contraire, je serai son ami sincère: Gaston, à qui appartiennent le Béarn et Pau, m’a envoyé quelqu’un pour me conter des nouvelles : Alphonse a reçu du roi une rançon pour ses prisonniers, afin que Gaston les délivre, et il a mieux aimé emporter l’argent que de recouvrer là-bas tous ses prisonniers.
 
V - Voici ce que m’ont dit de lui les jongleurs : c’est en pure perte qu’ils ont chanté leurs louanges. S’il leur a jamais donné des habits verts ou bleus, ou s’il leur a fait remettre un denier, il est laid qu’on lui reproche d’avoir largement su s’en dédommager aux dépens d’un seul : Artuset –et il mérite qu’on l’en blâme–, qu’il vendit aux Juifs dans ce but.
 
VI - Il a mal su payer Peire Joglar qui lui avait prêté de l’argent et des chevaux, car la vieille que Fontevraud attend l’a fait mettre en pièces ; car le signe qu’il lui avait donné, fait d’une bande de la jupe du roi d’armes, n’a pu lui éviter d’être tout tailladé à coups de couteau.
 
VII - Pedro Ruiz sut deviner, dès la première entrevue que lui accorda le jeune roi, qu’il ne serait jamais ni hardi ni belliqueux. Et il s’en rendit compte en le voyant bâiller : un roi qui bâille ou s’étire quand il entend parler de combat, il semble qu’il le fasse par indolence et qu’il ne s’intéresse pas aux armes.
 
VIII - Je lui pardonne le mal qu’il m’a fait faire par les Catalans et les gens de Lara. Comme le seigneur à qui appartient le Poitou le lui avait enjoint, il n’a pas osé agir autrement. Et lorsqu’un roi attend sa solde d’un seigneur, il faut bien qu’il se donne du mal pour la mériter. Or, il était venu ici pour gagner de l’argent plus que pour autre chose.
 
E - Je veux que le roi sache mon sirventés pour l’avoir appris avec plaisir, le fasse chanter au roi de Navarre et le répande à travers la Castille.

 

 

 

 

 

 

 

 

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